La véritable histoire d’amour de Jane Austen

par Marie-Laure Massei

Le film Jane, sorti en France en octobre 2007, était sorti outre-Manche en mars 2007 sous le titre plus évocateur de Becoming Jane : ce long métrage divertissant a pour sujet l’histoire d’amour malheureuse de Jane Austen, une des plus grandes romancières britanniques. Marie-Laure Massei, maître de conférences d’Anglais à Paris 1- Panthéon Sorbonne, spécialiste de Jane Austen, nous aide à comparer le film et la réalité. Dans quelle mesure cette représentation cinématographique d’un épisode intime de la vie de la romancière est-elle fiable ?

La grande romancière Jane Austen, née en décembre 1775 à Steventon, dans le Hampshire est décédée en juillet 1817 à Winchester.
Fondé sur la biographie de Jon Spence qui s’intitule Becoming Jane Austen et qui a été publiée en 2003, le film Jane propose une adaptation délibérément romancée et romanesque de cet amour naissant entre Jane Austen et un jeune étudiant en droit irlandais, Thomas Lefroy, après leur rencontre autour de Noël 1795.

C’est Anne Hathaway qui tient le rôle principal : cette actrice américaine s’est illustrée notamment dans Le secret de Brokeback Mountain et dans Le Diable s’habille en Prada, où elle donnait la réplique à Meryl Streep en 2006. Le héros, Tom Lefroy, est quant à lui joué par l’Ecossais James McAvoy, qui a fait une performance remarquée dans le Dernier roi d’Ecosse, en 2007.

Que savons-nous, au juste, de cette histoire d’amour entre Jane Austen et Tom Lefroy ? Peut-on considérer qu’Anne Hathaway est une incarnation « décente » et convaincante d’Austen ?
C’est à ces questions que Marie-Laure Massei se propose de répondre dans cette émission, en analysant quelques extraits des lettres écrites par Jane Austen à sa sœur Cassandra, susceptibles d'éclairer cette relation restée longtemps mystérieuse.

1- quelques mots sur l’intrigue :

Jane Austen est la fille cadette du pasteur George Austen (joué par James Cromwell) et de son épouse (interprétée par Julie Walters), qui, certes, appartiennent à la petite gentry (noblesse) anglaise, mais dont la situation financière est souvent très difficile. Telle Mrs Bennet dans Orgueil et Préjugés, l’obsession de Mrs Austen est de voir ses filles mariées et bien mariées de préférence, surtout Jane, puisque Cassandra est fiancée à Tom Fowle. Ainsi, la deuxième réplique du film consiste en une exclamation désespérée proférée par Mrs Austen : « Cette fille a vraiment besoin d’un mari ! », ce qui sous-entend naturellement un mari riche. Au début du film, cependant, Jane n’a qu’une seule passion, la littérature. Elle refuse donc la demande en mariage pourtant avantageuse de Mr Wisley, neveu de la riche aristocrate Lady Gresham (interprétée par Maggie Smith sur le modèle de Lady Catherine de Bourgh dans Orgueil et Préjugés).
Tout comme Elizabeth Bennet, Jane ne se met à songer sérieusement au mariage qu’après sa rencontre avec Thomas Lefroy, étudiant à l’avenir prometteur et à la réputation sulfureuse. Financièrement dépendant du bon vouloir et donc du testament de son oncle, un riche et puissant juge interprété par le défunt Ian Richardson, Tom Lefroy a été envoyé dans le Hampshire chez des cousins afin de méditer sur les conséquences de sa vie de débauche à Londres. Jane a une première impression très négative de ce jeune homme, qui l’insupporte par son égocentrisme, son arrogance et son impertinence (d’où le titre initial d’Orgueil et Préjugés : Premières Impressions). Bien que Tom se moque de la prose ingénue de Jane et de sa vie campagnarde, il apprend à la connaître et les jeunes gens tombent amoureux. Tom emmène Jane à Londres pour convaincre son oncle de lui permettre d’épouser celle qu’il aime, mais ce dernier refuse en apprenant l’impécuniosité des Austen. Tom se voit menacé d’un déshéritement en cas de mariage avec Jane.
Après une première séparation, Tom propose à Jane de s’enfuir en Ecosse, mais, tandis qu’ils sont en chemin, elle découvre qu’un tel acte aurait des conséquences catastrophiques pour les parents et les nombreuses sœurs de Tom, qui ne peuvent survivre sans la rente versée par le juge. Jane décide alors de mettre un terme à leur histoire, et, une fois rentrée dans le Hampshire, se met à rédiger First Impressions.

2- Que sait-on exactement de l’histoire d’amour entre Jane Austen et Tom Lefroy ?

Nous ne savons pas grand-chose sur cette histoire d’amour, pour deux raisons : la première est que la sœur de Jane, Cassandra, a brûlé une grande partie des lettres qui lui étaient adressées, ou des passages dans lesquels cet épisode était peut-être mentionné. La deuxième raison tient tout simplement à la brièveté de cette histoire, qui n’a sans doute pas connu les développements que le réalisateur du film lui prête.
Ce dont nous sommes sûrs, en revanche, est que Tom Lefroy est mentionné dans la première lettre que nous ayons de Jane Austen, en date du 10 janvier 1796 et qu’il en est le sujet principal.

Voici ce que Jane écrit à Cassandra :
« Tu me fais tant de remontrances dans la longue et aimable lettre que je viens de recevoir, que je n’ose t’avouer comment nous nous sommes comportés, mon ami irlandais et moi…Imagine-toi tout ce qu’il y a de plus extravagant et de plus choquant, dans notre manière de danser et de nous tenir à table… Cependant, je ne peux me donner en spectacle qu’une seule fois encore, parce qu’il quittera bientôt le pays. Je peux t’assurer que c’est un jeune homme extrêmement courtois, beau et agréable. Et c’est un grand admirateur de Tom Jones.»

La mention d’un tel roman, publié en 1749, est plus révélatrice qu’il n’y paraît, elle est même est lourde de sens, car Henry Fielding avait versé dans l’indécence et la provocation, évoquant la fornication et le péché de chair, à l’opposé de la pudeur et de la bienséance censées guider les jeunes filles de l’époque, à plus forte raison la fille d’un pasteur ! Cassandra avait dû en déduire que Jane et Tom avait eu une conversation assez libre, voire subversive, preuve d’un certain degré d’intimité.
Quant aux espérances de Jane au sujet de Tom, voici ce qu’elle écrit à sa sœur le 14 janvier 1796, au sujet de leur prochaine rencontre : « Je brûle d’impatience en pensant à ce bal, dans la mesure où je m’attends à recevoir une demande en mariage de la part mon ami, au cours de la soirée. J’y répondrai cependant par un refus, à moins qu’il ne me promette de se débarrasser de sa jaquette blanche. » La fin de la phrase est tout à fait déroutante, reprenant le seul reproche - évidemment humoristique - que Jane a déjà fait à Tom. Mais une telle chute, caractéristique du style burlesque adopté par Jane Austen dans certaines de ses lettres et dans ses œuvres de jeunesse, fait sans doute partie d’une stratégie de mise à distance des sentiments. Jane Austen savait pertinemment que son histoire avec Tom se solderait pour elle par une grande souffrance.
Elle ne peut donc s’empêcher de plaisanter dans sa lettre sur ses autres admirateurs, tout en se contredisant allègrement dans la déclaration suivante : « A l’avenir, j’ai bien l’intention de me limiter à Tom Lefroy, dont je me soucie d’ailleurs comme de ma première chemise ! » Autre commentaire ironique, qui, bien que destiné à amuser Cassandra, ne la laisse certainement pas dupe quant aux sentiments réels de sa sœur envers le fringant jeune homme.

Alors qu’elle termine sa lettre du 15 janvier 1796, Jane ne peut s’empêcher d’avouer à Cassandra l’étendue de son chagrin : « Voici finalement venu le jour où je flirterai avec Tom pour la dernière fois et lorsque tu recevras cette lettre, tout sera terminé. Mes larmes ne cessent de couler tandis que je t’écris, tant cette pensée me remplit de mélancolie. »
Cette lettre revêt une importance particulière, car, comme l’explique Claire Tomalin dans sa biographie d’Austen : « Il s’agit ici de la seule lettre dans laquelle Jane se met en scène, véritable héroïne de sa propre histoire, bien déterminée à profiter de cette éphémère période synonyme de pouvoir, d’excitation et d’aventure, telle que peut la ressentir une jeune femme sur le point de se marier ».

Jane a donc bel et bien flirté et dansé avec l’élégant Tom Lefroy, qui était si différent des cavaliers qu’elle fréquentait depuis l’enfance. Cependant, à l’inverse de la scène du film, elle s’est bien gardée de s’enfuir avec lui : il n’a même jamais été question de fiançailles, dans la mesure où ils étaient tous deux sans le sou et élevés dans le respect des valeurs familiales, qui sacrifiaient l’amour sur l’autel du devoir. Par ailleurs, le père de Tom s’était lui-même plutôt « mal marié », dans le sens où il avait fait un mariage d’amour et non un mariage d’intérêt, qui s’était soldé par la naissance de six enfants, dont cinq filles et autant de dots. Tous les espoirs reposaient donc sur Tom et sa réussite professionnelle, qu’il s’agît de sa carrière et de son mariage à une riche héritière, le mariage étant considéré à l’époque comme un « business ». Or, l’avenir de Tom dépendait entièrement de la bonne volonté de son grand-oncle, « will » signifiant à la fois volonté, mais aussi dernières volontés et donc testament.

Aussi dès que les Lefroy comprirent qu’une idylle se nouait entre Tom et Jane, Tom fut renvoyé à Londres dans les plus brefs délais, « pour éviter qu’il n’y ait encore plus de dégâts » pour reprendre l’expression de Mrs Lefroy, tante du jeune homme.

Par la suite, Tom est sans doute revenu dans le Hampshire une fois ou deux, mais les Lefroy ont tout fait pour éviter qu’il ne rencontre les Austen. En novembre 1798, trois ans après leur romance, Jane informe Cassandra de la visite de Mrs Lefroy, mais de son silence absolu sur le passage de Tom chez elle. Et, ajoute Jane, « je suis bien trop fière pour demander quoi que ce soit ; mais lorsque notre père s’est renseigné pour savoir où Tom se trouvait, j’ai appris qu’il était retourné à Londres avant de repartir pour l’Irlande, où il a l’intention d’exercer la profession d’avocat ». Jane ne le revit donc jamais.

Bien qu’elle plaisante au sujet de Tom dans les lettres adressées à Cassandra, Jane a dû vraiment souffrir de cet échec, non seulement parce qu’elle semblait profondément attachée à lui, mais aussi parce que le mariage avait une importance vitale pour une femme à la limite de la gentry. Comme elle l’explique dans une lettre en date du 13 mars 1817, la pauvreté est un véritable fléau, « ce qui représente un argument de poids en faveur du mariage » (Jane Austen’s Letters, ed. Deirdre Le Faye 332).
Comme il fallait s’y attendre, Tom Lefroy épousa une riche héritière avec laquelle il eut sept enfants et il finit sa carrière en Irlande comme Président de la Haute Cour de justice. Il siégea également onze ans au Parlement comme député du parti conservateur. Sur la fin de sa vie, il reconnut avoir été amoureux de Jane Austen en 1796, mais précisa qu’il s’agissait simplement d’un amour de jeunesse.
De cet épisode cruel, Jane Austen tira certains enseignements : sans argent, elle ne pourrait certes jamais épouser l’homme de son choix. Cependant, elle n’accepterait jamais non plus de se marier sans amour, devise qui va exactement à l’encontre de la déclaration désespérée de Mrs Austen dans le film, alors que sa fille vient de refuser une demande en mariage plus qu’intéressante financièrement : « Si la tendresse est éminemment souhaitable, l’argent est absolument indispensable ! ». Indispensable non seulement pour Jane, mais aussi pour sa mère, à la mort du père, comme cela devait arriver en 1805.

L’été qui suivit le départ de Tom Lefroy, Jane Austen se consacra entièrement à l’écriture, plus déterminée que jamais à devenir une romancière reconnue. Si, en janvier 1796, elle écrivait pour la gloire et non dans l’espoir de recueillir quelque profit que ce soit, comme elle l’écrit à Cassandra, son échec amoureux la fit radicalement changer d’avis. Ainsi, en 1814, elle se réjouit ouvertement des bénéfices retirés de la vente de Mansfield Park : « Je suis extrêmement cupide et bien déterminée à en retirer autant d’argent que possible ! »

3- Que penser de cette adaptation cinématographique ?

Le choix d’Anne Hathaway a été très vivement critiqué par les Janeites, ces admirateurs enthousiastes de la romancière. Comme l’a fait remarquer un chroniqueur du quotidien britannique The Guardian : « Avoir confié à cette jeune Américaine à la beauté extravagante la tâche d’incarner la célibataire la plus emblématique du royaume, auteur de tous leurs romans préférés, constitue sans doute pour les Janeites le pire exemple de sacrilège commis par Hollywood ! » Hathaway, elle-même grande admiratrice d’Austen, avoue qu’elle a tout de même hésité avant d’accepter le rôle, tant elle redoutait ce genre de réactions.
Certains critiques continuent de penser que la jeune actrice manquait d’expérience pour transmettre toute la complexité de la personnalité d’Austen. De plus, nombreux sont ceux qui l’ont trouvée beaucoup trop jolie pour le rôle, ce qui rend son célibat peu crédible à la fin. Comme on l’imagine, le choix d’une telle actrice a surtout été dicté par la loi du profit et les producteurs du film ont voulu s’assurer que l’actrice principale plairait à un public aussi large que possible.

D’ailleurs, que sait-on du physique de Jane Austen ?

Il se trouve que Jane est, avec George, son frère handicapé, le seul membre de la famille à ne pas avoir de portrait officiel. Il existe seulement un dessin peu flatteur fait par Cassandra et qui est si peu engageant qu’il a fait l’objet de retouches sur la couverture d’un roman paru chez Wordsworth Editions : la directrice de l’édition a justifié ce choix d’embellir le visage d’Austen en expliquant que « la pauvre, elle avait si peu d’atouts physiques » !
Cependant, voici ce que James-Edward Austen-Leigh écrivit en 1871 dans son Memoir au sujet de sa chère tante Jane : « Elle était très séduisante, plutôt grande et élancée, avec une démarche légère et assurée. Elle respirait la bonne santé et la vivacité. Elle avait des joues rondes, de grands yeux noisette et ses cheveux châtains formaient des boucles naturelles qui encadraient son visage. »

4- Au final, Anne Hathaway est-elle une incarnation décente de Jane ?

Le titre original du film, Becoming Jane ou « Devenir Jane » est bien plus riche de sens que son pauvre équivalent français, Jane. On remarque la présence du gérondif « becoming » qui souligne un processus de transformation, et selon la thèse de Jon Spence, c’est sa romance avec Lefroy qui a permis à Austen de devenir à la fois femme et romancière.

Mais il existe un deuxième niveau de lecture si l’on considère que becoming peut aussi être un adjectif : le titre initial est alors un jeu de mots, véritable clin d’œil aux Janeites de la part du metteur en scène, qui nous présente sa vision d’une « becoming Jane » en la personne de Hathaway, c’est-à-dire une Jane Austen tout à fait décente et honorable.
D’ailleurs, pour prouver aux Janeites qu’elle avait le plus grand respect pour leur icône, Hathaway a travaillé dur : elle a appris à parler avec un accent anglais, changé sa façon de se mouvoir, elle a lu les lettres et les romans d’Austen, ainsi que certaines biographies, pour mieux s’approprier le personnage.

Donc, certes, Anne Hathaway est peut-être un peu trop jolie, ses grands yeux de biche sont vraiment beaucoup trop mièvres sur l’affiche du film, mais elle n’est en rien une « calamity Jane ». Son interprétation de la finesse d’esprit de Jane Austen est convaincante, sa vivacité, son énergie et son impertinence sont tout à fait en rapport avec les qualités d’une Elizabeth Bennet, l’héroïne emblématique d’Austen, qui n’hésite pas à franchir tous les obstacles pour aller soigner sa sœur malade. Il ne faut pas oublier que le stéréotype de cette « chère Tante Jane », vieille femme célibataire prétendument prisonnière des conventions, est une construction victorienne quelque peu fallacieuse, bien éloignée de la turbulente jeune femme qui aimait danser avec Tom Lefroy de la manière la plus choquante et extravagante qui soit ! D’ailleurs, quelques mois avant de mourir, Jane continue d’écrire à sa nièce Fanny Knight que les « personnages trop parfaits » la « rendent malade et méchante ».

5- Au final, le film est-il convaincant ?

Bien que McAvoy soit un très bon acteur, il n’est peut-être pas suffisamment fringant ni romantique pour être totalement crédible. Même s’il forme un beau couple avec Hathaway, on a du mal à vraiment adhérer à la fin abrupte de l’histoire d’amour.
Cependant, Jane est un film très divertissant, qui, à partir d’un fait réel, romance beaucoup l’histoire originale. Les inconditionnels d’Austen se délecteront des nombreuses références à Persuasion, Sense and Sensibility, mais surtout Pride and Prejudice, avec lequel le film entretient tout un système d’échos. On a même parfois l’impression de regarder une énième adaptation d’un roman austenien tant les thèmes et les personnages caractéristiques d’Austen sont présents : la bienséance et les convenances contre la passion, l’aristocrate snob ou l’héroïne impécunieuse harcelée par une mère entremetteuse.
On prend un réel plaisir à regarder les décors et les plans soignés, les images très esthétiques, les paysages irlandais qui sont magnifiques – une autre ironie que le tournage ait eu lieu en Irlande, pays d’origine des Lefroy…
Au final, ce qui importe n’est pas tant de savoir si Hathaway est trop belle pour Jane ou non, et d’ailleurs, il est sans doute préférable de penser que la vraie Jane Austen restera pour toujours un mystère. Son histoire d’amour avortée n’est pas non plus le cœur du film, parce que nous lecteurs ne pouvons nous empêcher de penser que nous n’aurions pas eu ces chefs-d’œuvre si elle s’était mariée. Comme elle s’en plaint dans une lettre alors qu’elle a des invités et qu’elle doit tout préparer, « composer quoi que ce soit dans de telles circonstances me semble vraiment impossible, avec un esprit si préoccupé par le rôti de mouton et les doses de rhubarbe » !

Il serait sans doute trop réducteur et manichéen d’affirmer, comme les cinéastes, que la jeune Jane immature et passionnée s’est transformée en génie de la littérature grâce à sa romance avec Tom Lefroy, dont le conseil était le suivant : « Si vous avez l’intention de vous essayer à l’art romanesque, l’expérience est vitale, vous devez élargir votre horizon ». Cet épisode a sans aucun doute constitué une source d’inspiration pour ses romans, surtout eu égard au rôle central de l’argent dans les intrigues : après tout, c’est à cause d’un problème d’argent (de la faiblesse de sa dot) qu’Austen a vu ses espoirs ruinés avec Tom. Cependant, ce qu’elle ne doit certainement pas à Tom Lefroy est son sens quasi-inné de l’ironie et sa compréhension si pénétrante de la nature humaine.
Aussi, ce qui importe vraiment dans ce film est qu’il nous aide à comprendre comment un chagrin d’amour a conduit, par un processus de sublimation, à une compensation romanesque, par la création d’héroïnes heureuses en amour et en argent – en un mot, « récompensées ». Comment la douleur et la peine ont, paradoxalement, donné naissance à un chef-d’œuvre de la littérature britannique, Pride and Prejudice, au ton si léger, si joyeux, si pétillant. Quand on y pense, le vrai héros du film n’est pas tant Tom Lefroy que le manuscrit qui apparaît dès la première image.

Il est extrêmement judicieux que la dernière scène du film consiste en une lecture de l’incipit de Pride and Prejudice par Jane Austen. Telle une mise en abyme, l’adaptation cinématographique romancée de la vie d’Austen se fond alors harmonieusement dans une autre forme artistique, prélude à une autre fiction, qui sera couronnée par une fin heureuse cette fois. A ce stade, on ne peut s’empêcher de penser à l’adaptation de ce roman par Joe Wright (2005), avec Keira Knightley dans le rôle principal, tandis que sa silhouette se détache sur fond de paysage anglais et qu’elle avance vers le soleil levant, synonyme de promesses, un livre à la main…

Pour écouter la version anglaise de cette émission consacrée à Jane Austen : The true love life of Jane Austen : how it inspired her career

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