Retransmission de la Séance solennelle de l’Académie des inscriptions et belles-lettres 2012

L’histoire de l’art à l’honneur, de l’Egypte pharaonique à André Chastel
Michel ZINK
Avec Michel ZINK de l’Académie française,
Membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres

Le Vendredi 30 novembre 2012, s’est déroulée sous la Coupole de l’Institut de France, la séance solennelle de l’Académie des inscriptions
et belles-lettres. Canal Académie vous propose d’écouter la retransmission de cette séance au cours de laquelle vous pourrez entendre les discours prononcés par les académiciens dont le bilan des travaux de l’Académie, la lecture du palmarès, et deux discours consacrés à l’histoire de l’art, l’un à la célèbre figure d’André Chastel, l’autre à l’Égypte pharaonique face à l’histoire de l’Art.

Émission proposée par : Marianne Durand-Lacaze
Référence : cou596
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Canal Académie vous propose d’écouter la retransmission de la séance solennelle de l’Académie des inscriptions et belles-lettres au cours de laquelle vous pourrez entendre la totalité des discours prononcés par les académiciens.

Par ordre d’intervention, vous entendrez :

- Jean-Pierre Mahé, Président de l’Académie, pour La vie et les travaux de l’Académie en 2012,
- Jean-Marie Dentzer, vice-président de l’Académie, pour la Lecture du Palmarès de l’année 2012 et proclamation des nouveaux archivistes-paléographes
- Michel Zink, secrétaire perpétuel de l’Académie pour l’Allocution d’accueil
- Roland Recht, membre de l’Académie pour son discours: L’image et le mot. André Chastel, historien de l’art
- Puis Nicolas Grimal, membre de l’Académie pour son discours : Orient, Afrique et classicisme : l’Égypte pharaonique face à l’histoire de l’Art

Jean-Pierre Mahé de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 30 novembre 2012
© Marianne Durand-Lacaze\/ Canal Académie


Jean-Pierre Mahé a salué la mémoire de ses confrères disparus, académiciens et correspondants de l'Académie des inscriptions et belles-lettres disparus dans l'année : le Professeur Horst Fuhrmann, élu correspondant en 1998, le linguiste et orientaliste Manfred Mayrhoffer, membre de l’Académie des Sciences d’Autriche, élu correspondant, l’épigraphiste et papyrologue belge, Jean Bingen, élu associé étranger en 1999, son compatriote Jacques Duchesne-Guillemin, l’un des plus brillants critiques de Zoroastre, élu correspondant en 1979, ainsi qu'Antonio Garzya, élu associé étranger en 1999 et Gherardo Gnoli, associé étranger depuis 1999.

L'Académie salue les élections de Véronique Schiltz, élue le 2 décembre 2011 au fauteuil de Robert Bautier, correspondante depuis 2003, l'académicienne est spécialiste des peuples de la steppe, et en particulier des Scythes. Pierre Gros, correspondant depuis 2003, a été élu le 27 janvier 2012 au fauteuil de Jacqueline de Romilly. En 2010, il a obtenu le prestigieux prix d’archéologie Antonio Feltrinelli. Au fauteuil de Claude Nicolet, a été élu Jehan Desanges, correspondant depuis 2000. Jacques Verger, correspondant depuis 1999 a été élu académicien au fauteuil d’André Laronde. Laurent Pernot, helléniste, correspondant depuis 2006, a été élu comme membre au fauteuil de Louis Bazin.
D’autre part, ont été élus cette année huit nouveaux correspondants français : Dominique Barthélemy, Pascale Bourgain, Françoise Briquel-Chatonnet, Dominique Charpin, Denis Feissel, Carlos Lévy, Olivier Soutet, Monique Trédé.

Les séances publiques de l'Académie ont accueilli neuf colloques cette année. Une dizaine d’années après avoir créé son premier site internet, l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres s’est dotée d’une version refondue et enrichie qui fournit à l'internaute toute une série de nouveaux services. L’espace dévolu à la Société Asiatique a, lui aussi, donné lieu à une rénovation complète. Le texte de présentation de l’Académie est désormais accessible en plusieurs langues d’Europe et d’Asie : anglais, allemand, espagnol, italien, grec, suédois, portugais, russe, arménien, arabe, turc, hébreu, sanskrit, chinois, japonais et coréen ; d’autres versions sont en cours.

Jean-Marie Dentzer, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 30 novembre 2012
© Marianne Durand-Lacaze\/ Canal Académie

La numérisation des publications de l'Académie prend une ampleur croissante. On peut consulter gratuitement sur le programme « Persée » la collection complète des Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, et une partie du Journal des savants. Les premiers fascicules des Monuments Piot viennent de s’ajouter à cette bibliothèque numérique.

Jean-Marie Dentzer, vice-président de l’Académie a fait la lecture du Palmarès de l’année 2012 et proclamé des nouveaux archivistes-paléographes. Une cinquantaine de prix ont été décernés cette année. L'Académie joue un rôle important dans l'incitation et l'encouragement de la recherche dans les disciplines qu'elle représente. Pour tout savoir sur ses prix, inscriptions et modalités, reportez-vous sur le site Internet de l'Académie en cliquant sur ce lien.

Michel Zink, Secrétaire perpétuel de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 30 novembre 2012
© Marianne Durand-Lacaze\/ Canal Académie

Michel Zink, le Secrétaire perpétuel de l'Académie a rappelé, dans son allocution d'accueil, que l'année dernière, le thème de la Coupole, « Démocratie athénienne, république romaine, monarchie française », se voulait un hommage à trois de ses confrères qui venaient de les quitter, Jacqueline de Romilly, Claude Nicolet, Bernard Guenée. La disparition de son prédécesseur, Jean Leclant, Secrétaite perpétuel et égyptologue, était alors trop récente pour que la séance pût lui rendre hommage. Il s’imposait de le faire cette année, en rapport avec les manifestations consacrées à l’œuvre de son confrère, l’historien de l’art André Chastel, pour le centenaire de sa naissance. Avec humour il a présenté les rapports de l'histoire de l'art et de l'archéologie.

- Extraits

l’histoire de l’art a d’abord fondé la théorie de l’art, elle-même au service de ce ceux qui le faisaient. Elle a d’abord été du ressort de l’Académie des Beaux-Arts, comme une sorte de propédeutique théorique préparant à la pratique de l’art par la confrontation aux modèles anciens. Puis elle est devenue une discipline historique à un moment où l’histoire se dotait de la méthode et des instruments qui lui permettaient de prétendre au statut de science.

Toutefois, en France, l’histoire de l’art a longtemps été traitée un peu comme une histoire pour demoiselles : du temps où l’agrégation était un concours monosexué, l’histoire de l’art figurait au programme de l’agrégation d’histoire féminine, mais non à celui de l’agrégation d’histoire masculine. La grande figure de la discipline était pourtant virile jusque dans l’onomastique, puisque c’était notre confrère, le grand Émile Mâle. Dans les années cinquante du XXe siècle, le professeur d’histoire de l’art à l’École normale supérieure de jeunes filles pouvait ainsi – en toute innocence, la pauvre dame – donner aux sévriennes ce judicieux conseil : « Mes petites, il faut que vous connaissiez votre Mâle par cœur. »

L’archéologie, pendant ce temps, était une affaire d’hommes. Elle avait le sentiment, à bien des égards justifié, d’appartenir plus pleinement à la science positive.

C’est surtout l’histoire de l’art, pourtant, qui, en s’intégrant à la science historique, l’a poussée à élargir son horizon et lui a fait découvrir qu’une civilisation se comprend aussi à travers une histoire de l’œil, à travers une histoire du goût. En un sens, l’histoire de l’art et l’archéologie ont toutes deux évolué dans la même direction, en apprenant à porter sur le passé un regard distancié, en rompant avec leur père commun Winckelmann et l’idéal classique d’un beau absolu incarné dans la nudité décolorée du marbre grec.

Discours de Roland RECHT

L’IMAGE ET LE MOT.
ANDRE CHASTEL, HISTORIEN DE L’ART

Extraits du discours

L’accord profond qui lie étroitement les images et les mots au cœur de la vie de l’esprit ne se manifeste jamais avec autant de netteté qu’en présence de l’œuvre d’art.

Une définition a minima de l’histoire de l’art dirait qu’elle est faite de récits fondés sur la traduction d’images en mots. Ce passage du visible au lisible s’opère selon des modalités changeantes au fil des temps, ayant toujours en commun de tendre vers une construction langagière qui assigne des concepts aux thèmes, aux formes et aux couleurs.

Puis évoquant la figure d'André Chastel, grand professeur, d’abord comme directeur d’études à l’École pratique, puis à la Sorbonne, et enfin au Collège de France. Il précise que l'illustre confrère redonna en France une énergie toute nouvelle aux études d’histoire de l’art, auteur de tant d’ouvrages destinés tantôt aux spécialistes tantôt à un plus large public, et dont l’Académie des inscriptions et belles-lettres où il fut élu en 1975 célèbre aujourd’hui le centième anniversaire de sa naissance, j’aimerais ici évoquer seulement quelques années de sa vie, plus justement ces « années d’apprentissage » où s’est forgée sa conviction de se consacrer à l’étude des œuvres d’art.

Je voudrais chercher à cerner ce moment inaugural où s’est imposée l’évidence de ce qu’on pourrait nommer une vocation, mais qui est, moins emphatiquement, celui de la rencontre entre un esprit encore indécis et quelque chose d’ « étonnant » (Chastel) qui va définitivement le fixer.

Au cours de sa Leçon terminale du Collège de France, en 1984, il fit cet aveu : « …c’est seulement vers la dix-huitième année que plus ou moins en liaison avec une grande rétrospective de Delacroix au Louvre, l’idée d’un discours littéraire – qui m’avait toujours séduit – s’infléchit vers le projet, la recherche d’un discours sur l’art. » Face au plus littéraire des peintres du 19e siècle, s’est opéré, dans l’esprit du jeune Chastel, ce passage entre la littérature et l’art, un passage si fréquent dans notre pays et qui explique combien la critique d’art pratiquée par de grands écrivains de Diderot à Huysmans, a joué un rôle en France dans la pensée sur l’art.

Discours de Nicolas GRIMAL

ORIENT, AFRIQUE ET CLASSICISME :
L’ÉGYPTE PHARAONIQUE FACE À L’HISTOIRE DE L’ART

Extraits du discours

Nicolas Grimal de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, Professeur au Collège de France, 30 novembre 2012
© Marianne Durand-Lacaze\/ Canal Académie

L’histoire de l’Art n’occupe pas dans l’égyptologie la place que l’on pourrait s’attendre à lui voir tenir. Les études qui lui sont consacrées sont, en effet, bien loin du niveau qu’elles atteignent pour des civilisations plus proches de la nôtre. Bien loin, en tout cas, de pouvoir prétendre à la hauteur de la réflexion esthétique que notre Confrère Roland Recht vient de mettre si brillamment en lumière à travers l’œuvre d’André Chastel, auquel nous rendons aujourd’hui hommage, tout comme nous rendons hommage à notre regretté Secrétaire perpétuel, Jean Leclant, qui nous a quittés l’an dernier.

La civilisation pharaonique est généralement évoquée comme point de comparaison par les historiens d’Art, essentiellement pour son antériorité et sa spécificité. Elle rejoint en cela les autres civilisations orientales, beaucoup plus anciennes que celles qui ont fondé la nôtre, tout en en étant fort différentes. Comparaison et non filiation. Sans doute faut-il voir là le poids de l’européanocentrisme dans les études d’histoire de l’Art, plus enclines a s’interroger sur leurs propres racines que sur des cultures avec lesquelles aucun lien direct ne paraît décelable.

Dès l’Antiquité, en fait dès Cicéron, qui se fit dans le De Republica (I, 10. 16) l’écho d’une visite supposée de Platon en Égypte1, la relation de la culture grecque aux grandes civilisations orientales — au premier rang desquelles, naturellement, figurait l’Égypte — fut source de questionnement, même si le vieux fonds nationaliste hérodotéen ne laissait, bien évidemment, aucun doute quant à la supériorité de la culture grecque ! Comment tant de différences, enracinées si loin dans l’histoire de l’humanité, pouvaient-elles être considérées comme annonçant la perfection de la Grèce classique ?

La question, non résolue, chemina au fil des siècles, implicite sous le masque du symbolisme et de l’ésotérisme, jusqu’à la découverte de la clef qui rendit compréhensible ce dont la seule analyse plastique était impuissante à rendre compte : le sens réel des représentations, et, plus généralement des formes de l’expression artistique et architecturale de l’Égypte des pharaons.

Deir el-Bahari, le temple d’Hatchepsout : la rampe d’accès à la 2e terrasse
(cliché © NG)


La complexité et la spécificité de la civilisation pharaonique ont fait sa force et assuré sa durée — probablement l’une des plus longues au monde : quatre millénaires — voire plus si on remonte au 6e millénaire — d’une culture ininterrompue, dont les fondement mêmes imposaient une continuité artistique, voulue par le nécessaire équilibre du système.

L’individu, en effet, ne peut se concevoir en dehors d’un ensemble, qui justifie son existence autant qu’il la garantit, ici-bas comme dans l’au-delà. Seule la reconduction, éternellement renouvelée, du cycle de la mort et de la renaissance à travers le prototype royal garantit sa survie, non en tant qu’individu isolé, mais au sein d’une communauté, dont il ne peut sortir.

En matière de création, cette contrainte de fait supprime une dimension, qui ne peut exister dans l’art égyptien, alors qu’elle est première dans l’art occidental : le primat de l’individu. Par principe, sur les bords du Nil, toute œuvre est anonyme. Cela ne veut, évidemment, pas dire que l’on ne peut pas apercevoir la marque d’un individu dans une œuvre ou une série d’œuvres, nous y reviendrons dans un instant. Mais il faut forcer cet anonymat volontaire pour découvrir l’émotion dans un art qui semble tout entier tourné vers un objectif utilitaire, en un tissage serré, dont aucune maille ne doit dépasser.

Le fait que la production artistique soit indissociable de son contexte a conduit les égyptologues à ne considérer que relativement tard l’art comme une thématique en soi. Au moment où se constituaient les premiers corpus, c’est-à-dire au cours de la seconde moitié du XIXe siècle et la première du XXe — l’égyptologie est alors une science toute jeune —, l’histoire de l’Art ne se distingue guère de la description archéologique. Tous les grands pionniers de notre science — Auguste Mariette, Gaston Maspero, Flinders Petrie, pour ne citer qu’eux —, et, à leur suite, les écoles qu’ils fondent et qui, aujourd’hui encore continuent la tradition ainsi instituée, — tous ont privilégié et privilégient, avec des degrés divers, l’archéologie, la philologie ou l’histoire, considérant comme parfaite l’adéquation des fondements de l’art à ceux de l’ensemble de la société, ce qui les conduit à réduire celui-ci au rôle de simple outil.

Canal Académie vous invite à écouter l'intégralité de ses discours dans cette retransmission.

Pour en savoir plus

- Site de l'Académie des inscriptions et belles-lettres

Séance solennelle de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 30 novembre 2012
© Marianne Durand-Lacaze\/ Canal Académie

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