L’œuvre peint d’Henri Rouart ou l’impressionnisme au cœur

Avec Jean-Marie Rouart, de l’Académie française et Jean-Dominique Rey au micro de Marianne Durand-Lacaze
Avec Marianne Durand-Lacaze
journaliste

Connaissez-vous le peintre Henri Rouart, né en 1833 et mort en 1912, qui fut à la fois ingénieur de talent, artiste et mécène ? L’homme est très connu pour ses talents de collectionneur. Pourtant ce compagnon des impressionnistes qui achetait leurs tableaux et était leur ami, a aussi peint, ce qu’on sait moins. Deux de ses arrières-petits-fils et tous deux cousins, Jean-Marie Rouart et Jean-Dominique Rey lui rendent justice à l’occasion de la première exposition de peinture depuis 80 ans consacrée à son œuvre peint au musée Marmottan-Monet du 13 septembre au 11 novembre 2012.

Émission proposée par : Marianne Durand-Lacaze
Référence : carr908
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Paul Valéry écrivait en 1933, à propos d'Henri Rouart, à l’occasion du centenaire de sa naissance dans la préface du catalogue de la première exposition qui lui fut consacrée en tant que peintre à la Galerie Rosemberg, et ce, après sa mort :

Une allée à la Queue-en-Brie Huile sur toile, signé en bas à droite 60 x 73 cm Musée des Beaux-Arts de Pau ©Jean-Christophe Poumeyrol
©Jean-Christophe Poumeyrol


Ceux qui ont connu M. Henri Rouart, - sa belle vie, ses nobles goûts, la largesse et la délicatesse de son accueil, sa maison, qui depuis le seuil jusqu’à la chambre la plus haute n’était que peintures exquises – ont connu ce que la seconde moitié du siècle dernier a pu produire en France de plus accompli, de plus solide, de plus raffiné, de plus respectable, - une existence fortement construite et magnifiquement ornée Les quelques figures qu’il a laissées font songer par leur fidélité d’exécution, par l’absence de toute recherche de l’effet instantané, par l’impression de volonté qu’elles communiquent, d’un certain « primitif » qui aurait vécu au milieu des peintres modernes, et qui eût poursuivi un rêve de vérité pure parmi leurs thèses, leurs antagonismes, heureux de peindre, insoucieux de gloire. Paul Valéry, lié à la famille Rouart par alliance, et rappelons-le, membre de l’Académie française, a probablement sauvé de l’oubli cette œuvre qu’on redécouvre aujourd’hui.

Musée Marmottan Monet, exposition Henri Rouart l’œuvre peinte (1833-1912), septembre 2012
© Canal Académie


Henri Rouart a été l’ami et le mécène des impressionnistes. Il a toujours peint à leurs côtés et même exposé avec eux. Cependant, il a mis sa propre peinture en retrait. Jean-Marie Rouart, de l'Académie française, parle d'une réserve et d'une "modestie maladive" des hommes de sa famille.

Jean-Marie Rouart, de l’Académie française, musée Marmottan Monet, septembre 2012
© MDL\/Canal Académie

Ingénieur très inventif, vivant de ses brevets, Henri Rouart a pu mettre à l'abri du besoin sa famille et conserver l'art de peindre pour ses loisirs. Degas lui enviait cette liberté de peindre et de voyager au gré de ses envies, à l'abri d'une vie de bohème comme nous le raconte Jean-Dominique Rey.

Jean-Dominique Rey, Bibliothèque de l’Institut, septembre 2012
© MDL\/Canal Académie

Son nom est surtout attaché à son extraordinaire collection de tableaux anciens qui comprenait un Vélasquez, rien moins, et d'autres plus modernes comme ceux de « ce XIXe siècle à peine clos ». L’ensemble mis en vente à sa mort, en 1912 était considéré comme exceptionnel avec des tableaux modernes pour l'époque, ceux de Manet, de Degas ou le fameux tableau de Gauguin Nave Nave Mahama - Jours délicieux, en tahitien-, d'autres de Monet, de Berthe-Morisot, de Renoir, de Sisley, de Pissaro. C'est ainsi que ces chefs-d'œuvre quittèrent les murs de la propriété de la Queue-en–Brie en région parisienne et que l'événement est entré dans les annales des ventes.

Paysage au pont Huile sur toile 37 x 46 cm Fondation Annie et Denis Rouart, musée Marmottan Monet, Paris
©Bridgeman Giraudon


Cette année en 2012, le Musée Marmottan-Monet, le temple des toiles impressionnistes à Paris, rend hommage à son œuvre peint avec une exposition dans les très beaux salons du musée, ancien pavillon de chasse d'Edmond Kellerman, dont le décor et le mobilier font l’un des grands charmes de ce musée à taille humaine qui abrite la fameuse toile de Monet, Impression Soleil Levant pour ceux qui l'ignorerait encore.

En 1996, la Fondation Denis et Annie Rouart a vu le jour au sein du Musée Marmottan Monet dans le respect du souhait de sa bienfaitrice. Le Musée enrichit alors ses collections d’œuvres prestigieuses de toiles de Berthe Morisot, d'Edouard Manet, d'Edgar Degas, d'Auguste Renoir ou encore d'Henri Rouart.

Nature morte aux géraniums Huile sur toile, signé en bas à droite 72 x 90 cm Collection particulière
©Christian Baraja, studio SLB


L’œuvre peint d’Henri Rouart est donc exposée pour la deuxième fois depuis les années trente. C’est là, l’occasion rare de découvrir la peinture d’un témoin très proche des impressionnistes, élève de Corot, dont il peut-être gardé le goût des arbres, qu'il aimait peindre à distance. Il a entretenu avec Degas une amitié fidèle au point que Degas est devenu un intime de la famille Rouart, leur rendant visite presque chaque semaine. Il accepta de prendre l'un des fils d'Henri Rouart, Ernest, pour élève, le seul élève qu'il ait jamais eu et fut l'initiateur du mariage des filles du peintre Henry Lerolle avec deux des fils d'Henri Rouart.

Les toiles concernant les bois de la propriété de la Queue-en -Brie, les bâtiments avec l'ombre des arbres révèlent par leur éclat, le véritable plaisir de peindre d'Henri Rouart aimant tout particulièrement peindre sur le motif, ce dont son ami Degas se moquait gentiment.

Les tableaux Bateaux sur la Seine et Église San Michele in isola, près de Venise offrent de très beaux exemples de sa peinture dans une palette toute différente, montrant sa capacité à se renouveller.

- Jean-Marie Rouart a été élu à l'Académie française le 12 novembre 1997 au fauteuil 36, occupé précédemment par le grand médiéviste Georges Duby. Écrivain et journaliste, il publie depuis 1977, parmi ses livres citons, Ils ont choisi la nuit prix de l'essai de l'Académie française (1985), Avant -Guerre, prix Renaudot (1983), son roman L'Amour s'arrête à Stendhal et son dernier opus, Napoléon ou la destinée (Gallimard, 2012).. En lien avec le thème de la peinture, on lui doit Une famille dans l'impressionnisme (Gallimard 2001) et son roman Une jeunesse à l'ombre de la lumière (Gallimard 2000).

- Jean-Dominique Rey est écrivain et critique d’art, poète, nouvelliste.
Il a collaboré aux revues Critique, Cimaise, Les Nouvelles Littéraires et a créée la revue "Supérieur inconnu"(1991-2005). Il a publié Traverse du vent recueil de poésie, des romans dont L'Amour s'arrête à Stendhal (Fayard, 2000), Iles insurgées (Dumerchez, 2001). Il est aussi l'auteur de nombreuses monographies dont, Monet, les Nymphéas (Flammarion, 2009), Berthe Morisot (Flammarion en 2004), une autre sur Fra Angelico et l’art sacré aujourd’hui.

Pour accompagner l'exposition, Jean-Dominique Rey publie aux Editions Hazan, le catalogue de l’exposition qui commémore le centenaire de la mort du peintre. On y retrouve l’intégralité de ce beau texte de Valéry cité ci-dessus, ainsi qu' texte inédit de sa plume intitulé l’œuvre en marche, avec le catalogue des œuvres exposées et une chronologie.

Pour en savoir plus

Musée Marmottan Monet, exposition  Henri Rouart l’œuvre peinte (1833-1912), septembre 2012
© Canal Académie


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