Le nom des plats dans l’Histoire (1/2)

La chronique « Histoire et gastronomie » de Jean Vitaux
Avec Jean Vitaux
journaliste

Depuis les temps reculés de la préhistoire, aux temps de la chasse et de la cueillette, l’homme a reconnu les aliments comestibles et les a donc nommés. Puis avec le feu, est apparu la cuisson et les différents modes de consommation : cru et cuit, rôti et bouilli. Avec la révolution néolithique, l’agriculture et l’élevage ont multiplié les produits, lait, fromage, pain, etc... Et enfin avec l’histoire, sont apparus la cuisine et la gastronomie. Écoutez notre chroniqueur gastronomique Jean Vitaux pour connaître la suite !

Émission proposée par : Jean Vitaux
Référence : chr869
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I - De l'Antiquité au XVIIIe siècle

Dès les anciennes civilisations de la Mésopotamie sont apparus des plats définis et des recettes de cuisine : le temps de la dénomination des plats était venu.

Marcus Gavius Apicius, auteur du premier traité gastronomique que nous connaissons : le De re coquinaria. Mosaïque de Pompeï.

La première façon de nommer les plats, qui est toujours en vigueur de nos jours, est de mentionner la nature de l'aliment consommé, son origine et son mode de cuisson. Les tablettes mésopotamiennes nous livrent de nombreuses recettes de bouillon, et la façon de préparer les
volailles et la cuisson de la viande, souvent bouillie puis rôtie ; cependant les noms des recettes restent souvent intraduisibles, faute de comparaisons. Archestrate, auteur du premier livre de cuisine grec au IVe siècle avant notre ère, dont les écrits nous sont connus par Athénée, mentionnait déjà le lieu de pêche des meilleurs poissons : les ophies (larves d'anguilles appelées de nos jours civelles ou pibales) doivent venir d'Athènes, le mulet et le loup (bar) de Milet, le thon de Samos ou de Cephalu en Sicile.

Le premier livre de cuisine qui nous soit parvenu dans son intégralité est celui d'Apicius, écrit au premier siècle de notre ère qui donne systématiquement un nom le plus souvent descriptif à ses recettes : porcelet au laurier, lentilles au fonds de cardons, chevreau vidé en flûte, etc... il dénomme aussi certains plats en fonction de leur origine : saucisses de Lucanie, poulet à la Numide.
Il cite souvent aussi les condiments et les épices qui jouent un grand rôle dans le goût du plat : lièvre saupoudré de poivre sans sauce, poulet au laser (épice chère et recherchée à l'époque). Mais dès cette époque, quelques noms de plats portent le nom d'un homme sans qu'il soit facile de déterminer le rapport entre le nom et la recette : cuisinier, employeur du cuisinier, hommage à un convive ou à un homme important : si tel n'est pas le cas des recettes qui portent le nom d'Apicius (concilia, minutal et patina à la façon d'Apicius) qui portent le nom de l'auteur, patricien richissime et gastronome, nous ne savons rien des autres : porcelet à la Frontin, poulet à la Varda ou à la Fronton.

Les documents nous manquent ensuite jusqu'au siècle de Charles V où deux ouvrages le Viandier de Taillevent, et Le ménagier de Paris nous renseignent sur le nom des plats.

Les poissons, mosaïque de Pompeï.


Ces noms sont le plus souvent descriptifs, ainsi dans Le ménagier de Paris : brouet d'anguilles, boussac de lapin, comminée de poulaille. Certains noms ont disparu de notre langue : ainsi «comminée» désigne un assaisonnement au cumin. Certains plats immémoriaux remontent au Moyen Âge, même si leur nom a été modifié par la suite : ainsi le haricot de mouton (du verbe haricoter, terme de guerre médiéval signifiant tailler en pièces) est devenu le navarin, et la hochepot est l'ancêtre de notre pot-au-feu.

Marie Leszczynska (1703-1768)

Au XVIIe et XVIIIe siècles, les noms de plats furent beaucoup plus emphatiques. De cette époque, datent les qualificatifs de royale, princesse, duchesse, marquise et... financière. De même, datent de cette époque de nombreux plats évoquant les religieux : outre la religieuse, les pets de nonne et les sacristains, le homard fut appelé le cardinal des mers au début du XIXe siècle. Mais la principale innovation fut de nommer les plats des grands cuisiniers de l'époque du nom de leur employeur : ainsi les apprêts à la Du Barry qualifient la garniture de choux fleurs, les bouchées à la Reine furent dédiés à Marie Leczinska, épouse de Louis XV, car elle préférait le feuilleté individuel au vol au vent.
Les apprêts à la Bellevue se rapportent au château de Madame de Pompadour, et le potage Saint-Germain (aux petits pois) au comte de Saint-Germain, mais on ne sait s'il s'agit du ministre de la guerre de Louis XVI ou du sulfureux alchimiste. Les garnitures à la Matignon (légumes coupés en menus morceaux revenus au beurre), la purée Soubise (aux oignons) portent le nom de grands seigneurs gastronomes. La côte de veau à la Champvallon porte le nom d'une éphémère maitresse de Louis XIV.

Louis de Béchameil, marquis de Nointel

Plus amusante est l'origine de «Epigrammes», morceau de poitrine d'agneau avec côtelette : une jeune et jolie marquise entendit un jour à souper un convive raconter qu'il s'était régalé d'épigrammes la veille chez le comte de Vaudreuil. La marquise, ingénue, demanda à son cuisinier Michelet de lui faire un plat d'épigrammes pour le lendemain ; il ne trouva aucune recette ni dans les livres, ni chez ses confrères et inventa un plat qu'il nomma épigramme : tout le monde fut ravi. Las, cette belle histoire est sans doute apocryphe, car le célèbre cuisinier La Varenne en donne une recette en 1651.
Louis de Béchameil, marquis de Nointel, ou plutôt son cuisinier inventèrent la sauce blanche qui porta son nom, la béchamel. Ce marquis,
frauduleusement enrichi pendant la Fronde, écrivit la recette en vers, mais il avait peut-être simplement amélioré une sauce plus ancienne comme le dit le duc d'Escars : « J'avais fait servir des émincés de volaille à la crème cuite plus de vingt ans avant la naissance de ce petit Béchameil, et pourtant je n'ai pas eu le bonheur de donner mon nom à la moindre sauce ».

Si la mayonnaise était connue dès le début du XVIIIe siècle, l'invention du nom mayonnaise reste controversée. On admet habituellement que c'est le cuisinier du Maréchal de Richelieu qui aurait inventé cette sauce avec les moyens du bord lors de la prise de Fort-Mahon en 1758 pendant la guerre de Sept-ans : la mahonnaise serait devenue la bayonnaise.

D'autres invoquent la ville de Bayonne (d'où bayonnaise puis mayonnaise). Antonin Carême évoque le vieux nom du jaune d'œuf ou moyeu. L'étymologie la plus drôle, mais a priori apocryphe, est sans doute celle qui la rapporte au duc de Mayenne : ce ligueur indéfectible aurait mangé la veille de la bataille d'Arques des poulets assaisonnés d'une sauce remarquable. Il en abusa tant et si bien que le lendemain il tomba de cheval et perdit la bataille. Le seul problème est que la première acception du mot mayonnaise remonte à 1806, bien longtemps après tous ces événements.

Les noms de plats sont finalement assez représentatifs d'une époque. Si la description des ingrédients, l'origine des produits et le mode de cuisson sont de toutes les époques, la dénomination des plats par des noms qui n'ont que peu de rapport avec la composition des plats est caractéristique d'une époque : cette tendance sera poursuivie au XIXe siècle par Carême et Escoffier, et la nouvelle cuisine aura également son langage, mais cela est une autre histoire.

Texte du Dr Jean Vitaux

En savoir plus

Jean Vitaux est non seulement docteur en médecine et spécialiste gastro-entérologue mais aussi fin gastronome, membre de plusieurs clubs renommés, et, bien sûr, grand connaisseur de l’histoire de la gastronomie. Retrouvez toutes ses chroniques en

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