Les nus rouges de Garache au Musée d’art moderne de la Ville de Paris

Jacques-Louis Binet, correspondant de l’Académie des beaux-arts, ne se lasse pas d’admirer les chefs-d’oeuvre de ce musée en pleine expansion !
Avec Jacques-Louis Binet
Correspondant

Le raccrochage des collections du Musée d’art moderne de la Ville de Paris permet à la fois une relecture des grands mouvements modernes et un nouvel éclairage sur les grands artistes des XXe et XXIe siècles. L’occasion pour notre chroniqueur Jacques-Louis Binet de nous présenter quelques-unes des expositions temporaires de ce musée, dont son coup de cœur, l’exposition « Dans la couleur de Garache », du 30 mars au 24 juin, exposition rendant compte de la singulière passion de ce peintre pour la représentation du corps nu féminin au moyen d’une seule couleur, le rouge.

Nous parlerons aujourd’hui du Musée d'art moderne de la Ville de Paris, un peu oublié à côté du Palais de Tokyo, profitant de la notorieté suscitée par sa récente ouverture.

Au Musée de la Ville, deux noms à retenir : Suzanne Pagé, qui l’a longtemps dirigé, avec des moyens relativement modestes, et qui a organisé des expositions exceptionnelles comme celles de Giacometti ou encore celles des grands artistes contemporains allemands ; Fabrice Hergott, son nouveau directeur, d’abord formé au Musée national d’art moderne de Beaubourg, puis ayant pris la responsabilité du Musée de Strasbourg, qui a su donner en quelques mois une nouvelle expansion au Musée de la Ville de Paris.

La collection du musée est célèbre pour ces chefs-d'œuvre qu'on ne se lasse pas de contempler : La Fée Électricité, les deux versions de La Danse de Matisse (dont l’une vient d’être montrée à Beaubourg à l'occasion de l’exposition sur la danse, , les Delaunay, la collection Fautrier, même si elle ne possède pas la série des Otages.

Vue aérienne sur le Palais de Tokyo où le Musée d’art moderne occupe l’aile est (à droite)


Mais aujourd’hui, résultats soit d’achats, soit de dons, huit expositions provisoires sont montrées au Musée de la Ville.

Lydia Harambourg, correspondant de l'Académie des Beaux-arts, en décrira trois dans ses chroniques : celle de Chirico (comprenant surtout ses œuvres tardives), celle de Bernard Buffet, (qui a droit, jusqu’au 17 juin, à deux salles, alors qu’aucun conservateur français ne voulait accrocher ses toiles depuis cinquante ans), celle d’Étienne Martin (présentant des œuvres puisées dans l’ancienne collection d’Art Curial), exposition un peu à l’étroit cependant entre Réquichot, Dubuffet et Arp.

L'exposition de Christopher Wool (une première à Paris), qui a posé ses valises au Musée de la Ville jusqu’au 19 août, attire quant à elle l'attention. Ce peintre avait eu les honneurs du Musée de Strasbourg en 2006 et également de Cologne et de Los Angeles, avec les séries des années 90 sur les mots ou les phrases tronquées. Aujourd’hui, on retrouve une trentaine de grands formats, le long de la Rotonde, avec deux figures, isolées ou associées, une ligne tracée au spray, et de larges coups de brosse sérigraphiés sur la toile. Leur déroulement chronologique n'apparait pas clairement, mais toutes ces toiles témoignent de l’importance actuelle de l’abstraction américaine.

La Fée électricité de Raoul Dufy, au Musée d’art moderne de la Ville de Paris


Enfin, et surtout, une injustice enfin réparée : l’exposition Claude Garache jusqu’au 24 juin.

Depuis la mort d’Aimé Maeght en 1981, il avait peu exposé, malgré les textes que lui avait consacrés Yves Bonnefoy. Aujourd'hui douze de ses peintures (de 1976 à 2003), venant de collections privées, s’imposent par leur présence, autour d’un grand format Yvie et Sauve de 1999.

Regroupées dans une petite salle, nous pouvons, comme Claude Garache lorsqu’il peint, nous approcher, nous éloigner, mettre au point, voir à distance, reconstituer assez bien le face à face de l’atelier, la double présence du peintre et du modèle : lui, le peintre, né en 1929, d’abord formé à la sculpture, puis devenu uniquement un peintre de nus lorsqu’il découvre qu’il n’a plus besoin « d’aller dans le paysage, de découvrir des architectures, de sortir de l’atelier », ayant devant un nu «toute la nature devant les yeux» ; elle, le nu, «tout ce système sensoriel en éveil, ces capteurs qui perçoivent ce qui se passe, ce fonctionnement, qui respire, ces activités intenses et qui grouillent ». Le modèle devra garder, pendant des heures, plusieurs semaines de suite, la pose.

Entretien avec Claude Garache


Entre les deux, la toile. Et pour passer du nu à la toile, Garache utilisera la couleur, le dessin et la création d’un nouvel espace.

La couleur, c’est le rouge, « qui s’est imposé, quatre rouges qui sont des cadmiums, vermillon, rouge, pourpre, rouge pourpre ; de tous ces rouges confrontés, je voudrais faire un rouge unique, qui n’existerait que pour le corps ». Avec des glacis et des transparents, il obtient le modelé : il modèle ses couleurs, comme un sculpteur avec l’argile, il tente de transformer la surface en une peau.

Mais cette couleur est conduite par le dessin : « Je dessine dans la couleur », dit le peintre, sans trop savoir ce qui appartient à l’un et à l’autre, mais c’est le dessin qui conduit la forme, «qui donne une structure». «Je pense dessin et je fais peinture» : c’est le dessin qui trouve, maintient la pose, qui accorde la figure à la pesanteur, «élément fondamental de la nature», et lui impose son ordre.

Couleur et dessin donnent à chaque toile sa particularité, son espace. Si la chair du nu est toujours représentée en perspective, son espace environnant ne l’est pas. Le blanc du fond, ou parfois d’une autre couleur, qui joue avec le rouge de la figure ne s’inscrit pas dans la géométrie de la perspective. Les premiers nus étaient figurés de face, sur un seul plan. Si plus tard ils seront représentés assis, couchés ou courbés, rien n’indique la limite entre le sol et le fond : ils s’imposent seulement par leur position, leur situation sur la toile.

Par un travail incessant sur la couleur, le dessin dans la couleur, la mise en place dans l’espace de ses figures rouges, Claude Garache a pu, depuis cinquante ans, continuer sans se répéter, élargir sans se limiter, sa série de nus.

Texte de Jacques-Louis Binet


En savoir plus :

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- La fiche de Jacques-Louis Binet sur le site de l'Académie des beaux-arts

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