Georges Cuvier, le naturaliste mal aimé... père de la paléontologie

Philippe Taquet, membre de l’Académie des sciences, dresse le parcours d’un génie trois fois académicien !
Philippe TAQUET
Avec Philippe TAQUET
Membre de l'Académie des sciences

Le naturaliste Georges Cuvier (1769-1832) se disait « antiquaire d’une espèce nouvelle ». Précurseur de la paléontologie, anatomiste touche à tout, s’intéressant à la fois aux insectes, à la faune marine et aux mammifères, il est le père de la classification moderne des animaux. Pourtant, rien ne prédestinait le garçon issu d’un milieu modeste à devenir un éminent scientifique membre de trois académies : celle des sciences, des inscriptions et belles-lettres et l’Académie française.. Aujourd’hui Cuvier, un peu oublié, et surtout mal aimé pour ses théories racistes, est le sujet d’une vaste biographie entreprise par Philippe Taquet, lui-même paléontologue. Découvrez avec lui au cours de cette émission les différentes facettes de ce personnage dont on commémore, en 2012, le centenaire de son livre majeur : Recherches sur les ossements fossiles de quadrupèdes(paru en 1812).

_ Georges Cuvier est le précurseur de la paléontologie et de l’anatomie comparée au siècle des Lumières. Il créé également la géo-histoire, concept qui utilise les fossiles pour tracer l’histoire des étapes de la vie passée sur terre. « Georges Cuvier a changé profondément la perception que l’homme a de la nature qui l’entoure, ainsi que le regard qu’il porte sur l’histoire de la planète sur laquelle il vit » écrit Philippe Taquet. Et il poursuit au cours de l’émission : « Balzac par exemple a écrit sa "Comédie humaine" en utilisant la méthode Cuvier de l'anatomie comparée. Mais aussi Littré, le grand homme du dictionnaire, écrivit que le sanscrit a révélé des mondes inconnus de l’Asie et que de la même manière, Cuvier a révélé un monde d’animaux disparus ».
Pourtant, de par son caractère et ses prises de positions radicales, Georges Cuvier était tout à la fois admiré et détesté. Balzac lui-même finira par s’opposer violemment au naturaliste suite à une querelle entre les évolutionnistes (Étienne Geoffroy Saint-Hilaire) et les fixistes (Georges Cuvier)[[Georges Cuvier refusait de voir le monde évoluer. Selon lui co-habitait des plans fixes de l’anatomie des animaux très distincts les uns des autres alors qu'Étienne Geoffroy Saint-Hilaire voyait lui au contraire une unité du monde vivant]].

Une enfance au pays de Montbéliard

A la naissance, l’enfant, ne porte pas le prénom « Georges » à l’état civil, mais « Jean Léopold Nicolas Frédéric ». Une curiosité qui s’explique par le chagrin de la mère ayant décidé d’appeler son second fils Georges, du nom de son premier enfant défunt.
Georges a la chance de naître à Montébliard, territoire à l’époque rattaché au duché du Württemberg. Là-bas, l’école y est obligatoire. Le jeune élève, issu d’un milieu modeste de famille luthérienne, est brillant.

Comme tous les meilleurs éléments du duché, il est envoyé en 1784 à l’âge de 18 ans à Stuttgart à l’Institut Karolin créé par le duc de Württenberg où sont formés les cadres du duché. Il apprend l’allemand en un an seulement et « suit des études originales qu’il n’avait pas eu en France comme des cours d’économie, de gestion forestière, de droit administratif et de sciences » précise l’académicien Philippe Taquet ; des notions qui lui serviront dans ses fonctions à venir.
Après quatre ans de formation, il revient en France près de Caen comme précepteur dans une famille noble luthérienne : la famille d’Héricy. C’est pendant ces années, au cours de son temps libre, qu’il découvre les sciences naturelles. « Il dissèque tout ce qui lui tombe sous la main : le chat,  le perroquet de la comtesse... ou encore les poissons achetés sur les étals. Il est d’une certaine manière autodidacte dans ce domaine. Il dévore tous les grands traités d’histoire naturelle et va très vite réaliser qu’il peut découvrir des choses inédites. Il envoie ses manuscrits à ses messieurs du Jardin des plantes à Paris, (devenu en 1793 le Muséum national d’histoire naturelle) et va se faire remarquer par les professeurs du Muséum ; Et passe ainsi la Révolution dans la tranquillité de la campagne normande ».

Georges Cuvier (1769 - 1832)

Paris une ascension fulgurante

En 1795 il quitte la Normandie pour Paris. En 9 mois, le jeune provincial de 26 ans passe de l’ombre à la lumière. « C’est véritablement Rastignac qui arrive de province et va devenir célèbre » s’amuse Philippe Taquet. La communauté scientifique de l’époque devient attentive lorsqu'il ses nombreux articles, tous de grande qualité. Et tour à tour, il enchaîne les fonctions toutes plus prestigieuses les unes que les autres :
- Il devient professeur aux écoles centrales au Panthéon, créées juste après la Révolution. « Il édite ses cours sous forme de Traité élémentaire des animaux où il revoit l’ensemble de la classification des animaux et propose un manuel facile d’usage. En 1797, il le présente à l’Académie des sciences et devient tout de suite célèbre ». Un an auparavant, il présentait déjà en séance publique de l’Académie des sciences un article sur les éléphants vivants et fossiles, démontrant ainsi qu’il existait des espèces perdues.
- Il fait dans la foulée son entrée à l’Académie des sciences (dont il en deviendra le secrétaire perpétuel), puis entre par la suite à l’Académie des inscriptions et belles-lettres et à l’Académie française.
- Il devient professeur au Collège de France
- Puis professeur au Muséum

Paradoxalement, celui qui fut le père de la paléontologie et de l’anatomie comparée ne croyait pas en l’évolution des espèces. Chaque espèce était « fixe » selon lui ; une vision qui créa de vives oppositions au sein même de l’Académie des sciences. « Cela est certainement dû à son éducation protestante pour qui le monde avait été créé tel quel. Avec ce concept, il remettait en cause un concept précédent, celui de la chaîne des êtres où l’on imaginait que la vie allait du simple au compliqué dans un continuum. Il distinguait 4 catégories :
- les invertébrées
- les articulés
- les mollusques
- les radiaires

Il voyait bien des embranchements, mais pour autant demeurait fixiste, ce qui n’était pas l’avis de Lamarck et de Saint-Hilaire ».

En 1808, Cuvier se lance dans la description géologique du Bassin de Paris avec Alexandre Brongniart. Il démontre que les traces d’animaux fossiles permettent de dater les dépôts de sédiments. Ce sont les débuts de la géohistoire... Quatre ans plus tard, en 1812, il reprend tous ses articles et les regroupent en 4 volumes sous le titre Recherches sur les ossements fossiles de quadrupèdes.

Vénus Hottentote

Mais l’autre grand moment de l’histoire de Cuvier qui lui porte aujourd’hui préjudice, c’est la dissection de la Venus hottentote en 1817. Cette femme d’Afrique du sud, exposée comme un animal de foire en Europe, fut disséquée après sa mort « au nom du progrès des connaissances humaines ». « C’est terrible, Cuvier fait une description sexiste et raciste. Il voulait savoir si elle était plus proche du singe que de l’homme... Mais il faut savoir qu’à l’époque, dès que quelqu’un d’important mourait, on le disséquait. Cuvier aussi à sa mort a été disséqué par pas moins de 11 personnes dont ses propres préparateurs. Ils voulaient mesurer son intelligence...»

Écoutez les explications de Philippe Taquet au cours de cette émission En habit vert.

Philippe Taquet est membre de l’Académie des sciences, paléontologue. Il est l’auteur de Georges Cuvier, Naissance d’un génie, aux éditions Odile Jacob paru en 2006. Le 2e tome de la vie de Cuvier est actuellement en préparation.

En savoir plus :

Philippe Taquet, Georges Cuvier : Naissance d'un génie, éditions Odile Jacob, 2006

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