Général d’armée Jean-Louis Georgelin : la question militaire aujourd’hui

Une communication donnée en séance à l’Académie des sciences morales et politiques en mars 2012
Avec Hélène Renard
journaliste

Le général d’armée Jean-Louis Georgelin qui fut chef d’ État-Major des armées et qui est aujourd’hui grand chancelier de la Légion d’honneur, a donné lecture de sa communication intitulée « La question militaire aujourd’hui » question qu’il aborde tant sur le plan international que national, devant les académiciens réunis en séance à l’Académie des sciences morales et politiques le lundi 26 mars 2012.

Émission proposée par : Hélène Renard
Référence : es649
Télécharger l’émission (42.92 Mo)

Entrez grâce à Canal Académie dans la salle des séances. Vous entendrez d’abord le président pour l’année 2012, Marianne Bastid-Bruguière, présenter en le résumant le parcours du général Georgelin. Rappelons que le texte ci-dessous ne constitue qu'un résumé et qu'il convient, pour en saisir les nuances et les détails, de le lire en intégralité sur le site de l'Académie des sciences morales et politiques.

Après la célèbre phrase du général de Gaulle (in Mémoires de Guerre) : " “Quand j’entrai dans l’armée, elle était une des plus grandes choses du monde”, force est de constater que nous n'en sommes plus là et, ajoute le général Georgelin dans son introduction : "c’est en partie heureux, car cela montre que la question de la guerre ne se pose plus aujourd’hui comme elle se posait à cette époque et que la question de la sécurité de la France ne dépend plus uniquement de ses armées".
Il a ensuite indiqué les points qu'il se proposait de traiter :
- un nouveau rapport à la Nation
- la transformation radicale de la réalité de la guerre, sans en altérer l’essence, ni l’éradiquer.
- la réduction considérable du format de nos armées.

La question de la Nation

"On ne peut pas réfléchir sur la question militaire, c’est-à-dire en premier lieu, l’existence d’une armée, sans se poser d’abord, fut-ce brièvement, la question de la Nation. Car il ne peut y avoir d’armée sans une nation qu’elle a la charge de défendre... "
Le général Georgelin a expliqué les raisons pour lesquelles, à son avis, l'idée de Nation ne va plus nécessairement de soi et a détaillé les trois points suivants :

- la mondialisation

- l'aventure de la construction européenne (avec la disparition de la perspective d’un conflit inter-étatique européen; disparition aussi de menace soviétique ; mais absence d'une défense au niveau européen) .

- l'éloignement d'une adversité ressentie et après soixante-sept années d’absence de guerre sur notre territoire- l'incapacité pour nos concitoyens d'imaginer que la survie de la Nation puisse exiger le sacrifice de leur vie.

Le général d’armée Jean-Louis Georgelin

Quels sont les risques de guerre aujourd'hui ?

"La décennie précédente a vu surgir trois conflits interétatiques et il y a aujourd’hui dans le monde dix-huit conflits en cours, tous intra-étatiques, c’est-à-dire des guerres civiles. Si aucun de ces conflits ne se déroule aujourd’hui en Europe, le Livre blanc français publié en 2008 avait parfaitement identifié les menaces qui, pour nous, se cristallisent dans l’arc de crise qui s’étend de l’océan Atlantique à l’Asie centrale. C’est dans cette zone que se sont concentrées nos interventions militaires et nos préoccupations." Le général Georgelin a longuement abordé ce point crucial. "C’est l’Asie qui recèle certainement le plus de risques de voir éclater des conflits inter-étatiques : ancienne Asie soviétique, Kurdistan, Cachemire, frontière sino-indienne et afghano-pakistanaise. Sans oublier au-delà la tension autour de Taïwan et, plus au nord, l’instabilité de la péninsule coréenne, l’accroissement des tensions dans la mer de Chine entre la Chine et ses voisins. Tous ces États connaissent d’ailleurs des augmentations significatives de leur budget de défense, qui contrastent avec les baisses observées chez nos partenaires européens.

Mais à côté, ou en plus, de ces zones à risques, se développent des éléments qui mettent nos intérêts en situation de vulnérabilité :
- le terrorisme et la prolifération des armes
- les craintes pour les ressources stratégiques
- la criminalité transfrontalière,
- la cyber-menace... etc.

"Face à ce spectre de risques et de menaces bien réels, les démocraties contemporaines - comme les autres États d’ailleurs - disposent d’une gamme de réponses diversifiées avant d’envisager le recours à la force."
Le général Georgelin détaille ensuite les concepts développés par le professeur américain Joseph Nye : conceptions qui enrichissent la réflexion sur la notion de puissance : le « soft », le « hard » et le « smart power », le dernier étant évidemment la combinaison des deux premiers : "c’est-à-dire la capacité d’agir sur son partenaire-adversaire par la persuasion et l’utilisation de pressions économiques, financières, commerciales, scientifiques, mais aussi sociales, culturelles et religieuses pour qu’il renonce à telle ou telle politique ou à tel type d’action, et ainsi lui imposer sa volonté. Mais ce « soft power » ne sera efficace véritablement dans la quasi-totalité des cas que s’il est appuyé par une menace crédible d’emploi du « hard power », c’est-à-dire de la force militaire qui est toujours emploi des armes et engagement de la vie de soldats. (il donne ici en exemple trois situations : Iran, Syrie, Afghanistan).

Quelles sont aujourd’hui les capacités militaires que notre pays a su, pu et voulu conserver ?

"Au fond, depuis la sinistre défaite de 1940 et la fin de la Seconde Guerre mondiale, nos armées ont connu deux bouleversements :
- Le premier, voulu par le général de Gaulle, mené en deux temps en raison du drame algérien, fut celui de la conversion au nucléaire et de la prise en compte de la fin de notre empire colonial. Fontes des effectifs et des budgets – déjà – colossal effort de recherche pour le nucléaire, accoutumance aux vicissitudes de la guerre froide, éloignement de l’action, antimilitarisme latent, bref une époque moralement difficile pour les militaires...

- Le second fut la conséquence de l’implosion du pacte de Varsovie survenue comme par surprise, en dépit d’une activité sans précédent des services de renseignement de toute nature. En découla, en effet, l’abandon de la conscription et avec elle, on l’oublie toujours, la capacité de mobilisation qu’elle permettait si des effectifs importants s’avéraient nécessaires..."

La principale cause de changement, c’est évidemment le développement fulgurant des technologies modernes. Car, comme le souligne le général Georgelin, la révolution numérique fut, d’abord, une révolution militaire. D'où les trois constats que le Général Georgelin est amené à énoncer :
- "Premier constat : l’exercice même du commandement a été profondément bouleversé...
- Deuxième constat : la précision garantie des armes terrestres, navales et aériennes permet la diminution des effectifs engagés et réduit considérablement les dégâts collatéraux et non l’inverse.
-Troisième constat : l’exposition médiatique instantanée du théâtre d’opération fait de l’opinion publique un acteur réel de la conduite stratégique des opérations en cours"...

Puis le communicant, avec des chiffres, aborde les questions relatives au budget militaire, aux forces mobilisables en cas de besoin, rappelant que les hommes et femmes ayant choisi la carrière des armes, forment un corps social composé de 225 000 militaires, 70 000 civils auxquels il faut ajouter 34 000 réservistes. En 1989, il y avait 600 000 militaires pouvant être porté à plus d’un million après mobilisation. "Ces militaires forment un corps social au sein de la Nation dont ce serait une faute d’ignorer les aspirations – et en premier lieu la reconnaissance de ce qu’ils sont et de ce qu’ils font – sous prétexte qu’ils ne disposent pas, et c’est évidemment normal, de droits syndicaux. Ce corps a un statut propre, récemment rénové par une commission présidée par l’un des vôtres, qui maintient fermement les fondements de l’État militaire : disponibilité, neutralité, discipline, loyalisme.

Et comment ne pas rappeler aussi le devoir de sacrifice qui "justifie des règles particulières et des dispositions spécifiques, exorbitantes du droit commun. Le soldat donne et accepte de recevoir la mort. L’armée, c’est ce qui doit pouvoir fonctionner lorsque tout le reste s’est effondré. Banaliser le métier militaire est à mes yeux la plus grave menace qui pèse sur nos armées".

Rappelons que le texte ci-dessus ne constitue qu'un résumé de cette communication et qu'il est préférable de lire l'intégralité sur le site de l 'Académie www.asmp.fr

Dans cette même série de communications de l’année 2012, série intitulée par la présidente Marianne Bastid-Bruguière, "Thématique 2012 : Asymétries et forces neuves du monde actuel", écoutez les autres communications données à l'Académie des sciences morales et politiques, comme par exemple :

- L’exploitation des ressources agricoles et agroalimentaires, par Michel Griffon

- Quel futur pour les métaux et terres rares ? par Didier Julienne

- Pierre Gadonneix : les ressources mondiales en énergie

- Henri Léridon : Les perspectives de la population mondiale

Consulter le site : http://www.legiondhonneur.fr/

Cela peut vous intéresser