Donner sa langue au chat ou au chien ?

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

À vrai dire, si on est historien de la langue, comme l’est notre lexicologue Jean Pruvost, on a bien envie pour le coup de donner sa langue au chat, parce que personne n’est bien clair quant à l’origine de cette expression. C’est sans doute un mélange de diverses formules qui se sont influencées, confondues, amalgamées...

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots626
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Madame de Sévigné disait « jeter sa langue au chien » ! Et puis, sans qu’on sache vraiment pourquoi, au milieu du XIXe siècle, on est passé du chien au chat… En 1860, on retrouve par exemple dans un roman des frères Goncourt, Charles Demailly, l’expression « donner sa langue au chat », ce qui est évidemment plus délicat que de la jeter : « Une fois, deux fois, trois fois, donnez-vous votre langue au chat ? ». Voilà le décompte plaisant des frères Goncourt, un décompte qui ravit les enfants qui ont envie de mettre en avant l’ignorance des adultes, et il faut évidemment un temps limité à la devinette sinon il n’y a pas de plaisir.

Par exemple avec Rabelais, il ne fallait surtout pas « jeter son lard aux chiens », c’est-à-dire dilapider son bien. En province, au même moment on disait déjà « abandonner sa part aux chats », c’est-à-dire là aussi ne pas être à la hauteur de la part offerte. Dans un roman de George Sand, la Petite Fadette, on peut dénicher l’expression « mettre quelque chose dans l’oreille du chat », en l’occurrence « oublier quelque chose ».

Mais on n’oubliera justement pas que dans le Gard, on disait aussi «Ai manjat lango de cat», « j’ai mangé la langue du chat », pour dire qu’on n’avait pas tenu sa langue, en somme qu’on divulguait ce que le chat savait. Avouons-le, on s’y perd un peu…
Donner sa langue au chat, c’est en somme faire comme si sa langue, l’organe avec lequel on parle, n’avait plus beaucoup de valeur, puisqu’elle n’arrive pas à trouver la réponse à la question posée, on peut donc la jeter, la donner au chat, un chat qui lui justement a la réputation de savoir beaucoup de choses, peut-être parce qu’on lui a fait des confidences. Le chat, presque en sphinx, pourra seul répondre.
Et là, on ne résiste pas à citer la définition du mot chat par Jacques Dor, dans son second Dico Dor. Chat : « animal surnaturel qui vous regarde fixement, et avec une grande compassion ; car seul le chat sait où vous entraîne votre destin minuscule. » Belle parole de poète !

En tout cas, quand on ne sait pas, évitons selon la vieille expression d’avoir « une mine de chat fâché », de se montrer comme « chat qui chie dans la braise ».

Alors, si on résume : un enfant nous pose une question, on a d’habitude la langue bien pendue, pas dans la poche, et là devant la question, sans être mauvaise langue, c’est comme si on avait un bœuf sur la langue, on a la réponse sur le bout de la langue, mais on a beau tourner sept ou huit fois sa langue dans la bouche, c’est pas suffisant, on ne peut qu’avaler notre langue, puis tirer la langue et la donner au chat.
Et puisqu’il était question de bœuf, on espère que le chat ne la confondra pas avec la langue de veau, qui selon la définition de Jacques Dor, est « un muscle épais tapissé d’aspérités qui ne permettent ni les finesses du langage, ni celles du baiser : sauf en sauce ».

Texte de Jean Pruvost.

Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise. Il y enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire. Et chaque année, il organise la Journée Internationale des Dictionnaires.

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