Famille, je vous (h)ais…

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

J’entendais un ami, il y a quelques jours, se disant tiraillé entre une sortie programmée après un grand match de rugby, sortie à laquelle il était invité, et un incontournable repas de famille, et il s’exclamait qu’il se sentait pour une fois esclave de sa famille… Eh bien, à son insu, il nous donnait précisément l’étymologie du mot famille.

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots655
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En latin classique, « familia » est en effet lui-même issu du mot « familius », serviteur. Et comme le rappelle le Dictionnaire historique de la langue française, « la familia romaine est étymologiquement l’ensemble des famili », c’est-à-dire des « esclaves attachés à la maison du maître ». Et Littré à son tour de signaler que progressivement la « famille », définissant donc d’abord ceux qui vivent sous le même toit, maîtres et serviteurs, sous l’autorité du pater familias, chef de famille, en est arrivée à « signifier les membres de la maison unis par les liens du sang ».

Ce n’est cependant pas du jour au lendemain que ce mot, si courant et si fort aujourd’hui, a supplanté d’autres mots très implantés en ancien français comme le « parentage », la « parenté », dans lesquels on retrouve le latin « parens », père ou mère, et plus précisément le pluriel « parentes » désignant « le père et la mère ». Existait en effet aussi, très en usage au Moyen Âge, la lignée, issu du latin «linea», le fil de lin, la lignée s’assimilant par métaphore à la suite des descendants. À l’époque des serfs et des seigneurs vivant dans leur château fort, on évoquait également la mesniée qui représentait tous ceux vivant sous le même toit, issu du verbe «manere», séjourner, demeurer que l’on retrouve dans manoir et dans «mansio», d’où vient directement notre maison.

Il faut en réalité attendre la fin du XVIe siècle pour que la famille soit pleinement reliée à la parenté. N’oublions pas au passage un terme né dans le domaine artistique, grâce à un thème privilégié par les peintres. Un grand nombre de toiles ont en effet été intitulées, la Sainte Famille, représentant bien sûr l’enfant Jésus, la Vierge et saint Joseph, accompagnés parfois de sainte Anne et de saint Jean.
C’est évidemment par analogie avec le groupe familial que dès la fin du XVIIe, la famille a désigné d’une part des personnes non liées par le sang mais se ressemblant par des caractères communs, une famille politique par exemple, et d’autre part, derrière Buffon, à partir de 1676, une famille de l’histoire naturelle, la famille des canidés par exemple.

Quant aux citations sur la famille, elles sont innombrables et caractéristiques de notre dualité, tantôt elles sont fortes et profondément aimantes, tantôt très critiques. On n’en retiendra que deux, la plus connue ne me plaît pas, c’est celle de Gide, extraite des Nourritures terrestres, « Famille, je vous hais », c’est ce qu’il ressentait dans une famille qui l’étouffait. Je lui préfère en vérité la même citation, mais à une lettre près, une lettre en moins qui fait toute la différence : « Famille je vous ai », a i, belle formule d’Hervé Bazin, offerte dans Ce que je crois (1977). Eh bien c’est ce que je crois aussi, c’est une grande chance, familles, que de vous avoir auprès de nous.

Texte de Jean Pruvost.

Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise. Il y enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire. Et chaque année, il organise la Journée Internationale des Dictionnaires.

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