La fraude

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

Le mot fraude est très ancien, hélas, on ne s’en étonnera pas, tromper son prochain existe depuis Adam et Ève, souvenez-vous de la fameuse pomme. Et le mot n’a pour ainsi dire pas changé de sens depuis le latin classique fraudis, désignant dès l’Antiquité la mauvaise foi, la fourberie, la fraude.
Il était naguère associé à un autre mot aujourd’hui presque disparu, la « fallace » : « C’est un homme sans fraude et sans fallace », lit-on dans le Dictionnaire de l’Académie, en en 1835. « Sans fallace », c’est-à-dire sans « tromperie ».

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots653
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_ La fraude a notamment fortement existé depuis la nuit des temps à propos de l’alimentation, en frelatant par exemple divers produits : l’huile, le vin, la bière, etc., c’est-à-dire en les altérant frauduleusement avec des produits moins chers. On fraude aussi sur la quantité. Lorsque sont par exemple publiés les mémoires de Vidocq, en 1836, il signale les « tonneaux destinés aux Voleurs », avec un faux fond, « si artistement faits, qu’il rare que la fraude soit découverte. »
_ De fait, lorsque j’ai écrit il y a deux ans un petit livre sur le Vin, chez Champion, je découvrais dans le Dictionnaires de la conversation de 1832 des pages entières consacrées à la fraude sur le vin, alors largement coupé avec de l’eau, ce qui correspondait à une fraude généralisée que l’auteur expliquait en évoquant des taxes trop lourdes.

En vérité, c’est un défaut à combattre que la complaisance avec la fraude, « nerf du commerce » dit ainsi à tort Ponchon, qui se plaignait pourtant en 1920 que la fraude « s’exerça sur les escargots… des gens sans vergogne, […]déclarant Bourgogne ceux qu’ils cueillent n’importe où ». Il faut donc comme le fait le gouvernement battre campagne contre la fraude quelle qu’elle soit, en en rappelant les dangers. À la manière par exemple de Jean-Baptiste Say, économiste distingué, signalant dans son livre d’Économie politique de 1832 que le fraudeur pris « perdra la confiance, avec laquelle on fait de bien plus grandes choses qu’avec un peu d’argent acquis par la fraude ».

Avouons-le cependant, si l’on a passé son enfance à la campagne, nous fûmes parfois des garnements fraudeurs, à la manière d’Amédée Pommier évoquant « les joyeux festins, quand nous allions en fraude […]dégarnir l’espalier des pêches les plus belles ou faire autour de vous pleuvoir les mirabelles ». Je ne peux pas, pour ma part, m’empêcher de penser à quelques cerisiers sur lesquels nous grimpions pour nous goberger de ses fruits si tentants. Et bien, nous fraudions, mais c’était délicieux...

Le cinéma n’est pas sans nous offrir des dialogues truculents. L’un d’entre eux, extrait de Tenue de soirée, en 1986, vaut son pesant de cerises. En pénétrant dans un appartement l’un des héros s’exclame : « Ça sent la fraude fiscale. – À quoi tu sens ça ? lui demande son partenaire. – À l’épaisseur de la moquette » Attention donc aux moquettes épaisses, gardez bien la facture !

Texte de Jean Pruvost.

Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise. Il y enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire. Et chaque année, il organise la Journée Internationale des Dictionnaires.

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Retrouvez Jean Pruvost sur le site des Éditions Honoré Champion dont il est directeur éditorial. http://www.honorechampion.com

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