Philippe Contamine : Gaston Fébus et son Livre de la chasse

avec le médiéviste de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, et Marie-Hélène Tesnière, de la Bibliothèque nationale de France
Avec Anne Jouffroy
journaliste

Dans la galerie des princes du XIVe siècle, Gaston III (1331-1391), comte de Foix et vicomte de Béarn, a une place singulière. Il choisit de se faire appeler « Fébus », c’est à dire « Soleil », et organise sa légende. Les récits, très admiratifs, de son ami Froissart, poète et historien, laissent deviner un prince tout à la fois solaire et ténébreux. Mais Gaston Fébus doit surtout sa renommée à son extraordinaire Livre de la Chasse. Philippe Contamine et Marie-Hélène Tesnière évoquent le destin tragique de ce seigneur d’exception passionné de poésie, de science, et grand chasseur devant l’Éternel.

Émission proposée par : Anne Jouffroy
Référence : carr861
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Gaston Fébus Livre de la chasse« Veneur et ses chiens » Vers 1450, Jacques d’Armagnac
30 X 23 cm Paris, Bibliothèque nationale de France, département des manuscrits manuscrit français 1291

Fébus, Soleil d'or, soleil noir

Légendaire, le personnage le devint grâce au Dit dou florin et aux Chroniques de Jean Froissart, dans lesquels il traça un portrait en clair-obscur, tour à tour admirable et inquiétant, du comte de Foix.
Attiré par l'aura qui entourait déjà la personne de Fébus, Froissart se rendit, en 1388, à la cour d'Orthez où il fut accueilli fastueusement.
Gaston Fébus, prince cultivé, écoutait avec admiration le chroniqueur réciter de longs extraits de son roman arthurien, Meliador.
Les Chroniques de Froissart évoquent la manière dont Fébus gouverna ses terres, géra ses finances, assura la sécurité intérieure de ses territoires, s'attacha à rendre une justice directe et efficace, attira ses alliés et se fit respecter par tous.

Jean Froissart Chroniques, livre III
Paris, 1412-1414<br /> Exécuté par le libraire Pierre Liffol, et illustré par le Maître de Boèce<br /> Parchemin<br /> H. 37,2 ; L. 28,8 x ép : 9,7 cm (fermé)<br /> H. 37,2 ; L. 64 x ép : 7 cm (ouvert)<br /> Besançon, Bibliothèque municipale

Grand administrateur et fin diplomate, Gaston III maintint l'autonomie de sa principauté malgré la puissance politique de chacun de ses voisins : les rois de France, d'Angleterre, d'Aragon, de Castille, de Portugal et de Navarre. Par méfiance ou défi, Fébus évita toujours de se rendre « en France » pour servir ses souverains successifs. Sa grande réussite fut militaire. Grâce aux rançons -au XIVe siècle, nous sommes à l'âge d'or du système des rançons- il amassa un énorme trésor qui lui offrit un train de vie de prince, pour ses constructions et pour d'autres guerres qu'il mena, en général, de façon victorieuse. Ses échecs furent territoriaux et dynastiques. En dépit de ses qualités, évoquées plus haut, il ne réussit pas à agrandir ses territoires.

Mais c'est à son histoire familiale que se rattacha la légende noire du comte de Foix, vicomte de Béarn : pour des raisons mystérieuses, il tua son unique fils légitime. Ainsi prit fin la lignée directe de Fébus.

Philippe Contamine, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres

Livre de la chasse et Bestiaires

« Il n'y a pas de plus grand bonheur pour un homme que de partir à la chasse. Il n'y a pas de plus grand bonheur que de revenir le soir bien fatigué à son logis, de manger un peu de lard de cerf, de boire, de savourer la torpeur de la « vesprée » et de se coucher dans de bons draps frais. Et d'ailleurs tous les chasseurs vont au paradis !» Écrivait Fébus dans le prologue de la dédicace de son Livre de la chasse adressé en 1387 à Philippe le Hardi, duc de Bourgogne.

Manuscrit 616 de la BNF, Livre de la chasse, "chasse au loup"  de Gaston Fébus

Passionné de chasse, certes, mais aussi, lettré, bibliophile, poète, amateur de science, le comte de Foix sut mettre par écrit son incomparable expérience de chasseur.

Oeuvre de maturité, le Livre de la chasse fit la synthèse de plusieurs traditions -bestiaire, miroir des princes, traité scientifique- qu'il revisita dans un esprit naturaliste, sinon à proprement parler scientifique, faisant entendre la voix d'un prince pour qui la vénerie constitue l'art noble par excellence.

Gaston Fébus s'inspira, en effet, du traité de fauconnerie de Frédéric II de Hohenstaufen achevé en 1248, du Roman des deduis de Gace de la Buigne rédigé entre 1373 et 1377 et des Livres du Roy Modus et de la royne Ratio d'Henri de Ferrières composé entre 1354 et 1376.

Livre de la chasse « Chasse à l’ours » Avignon, fin du XIVe siècle Avec dessin à l’encre fait en Avignon Illustré en grisaille par Jean de Toulouse, sous la direction de G.Fébus
Parchemin<br /> H.34,5 ; L.25.5 cm<br /> Paris, Bibliothèque nationale de France, département des manuscrits<br /> manuscrit français 619

Fébus innova en plaçant l'animal au centre de son livre. Dans les bestiaires précédents, l'animal n'était qu'un vecteur qui servait à la prédication.
D'une manière aristotélicienne, il s'attacha à décrire les animaux « physiquement » : représentation figurée, mode de reproduction et d'alimentation, comportement, etc. Et il ajouta un immense chapitre sur les chiens.

De beaux manuscrits enluminés pour l'aristocratie

Bestiaire et aussi code de la noblesse de la chasse, le livre de Gaston Fébus eut un succès considérable auprès de l'aristocratie. Il s'agit d'une chasse rêvée, onirique -non pas cruelle- glorifiant l'intelligence de l'animal et l'harmonie entre le chasseur, le gibier et les chiens.

Fébus supervisa, lui-même, les illustrations dans les deux plus anciens manuscrits, réalisés sous sa direction en Avignon vers 1390. Il offrit à Philippe le Hardi la copie colorée et garda, pour sa propre bibliothèque, une copie en grisaille.

Il est probable que Gaston Fébus ne pensait pas diffuser son ouvrage.
En 1407, cependant, le duc de Bourgogne, Jean sans Peur, fils de Philippe le Hardi, commanda deux copies du livre de son père pour les offrir, l'une au duc Louis d'Orléans, l'autre au dauphin Louis de Guyenne.Dans six manuscrits du Livre de la chasse, le texte fut suivi d'un livre de prières.

Le livre des oraisons : quarante prières, trois en latin et trente-sept en français

Le nombre quarante, à portée symbolique dans un recueil d'inspiration pénitentielle dominante, correspond aux quarante jours du Carême.
Les trois premières oraisons, écrites probablement par Fébus lui-même, sont à caractère autobiographique. Il y implore la miséricorde divine.
Les prières en français sont des traductions, non-attribuées à Gaston Fébus, des textes tributaires de Saint Anselme et Saint Augustin – oraisons classiques de la dévotion chrétienne.
Le livre des oraisons, prévu par Fébus seulement pour son exemplaire personnel, fut placé par ses soins, par la suite, dans celui offert à Philippe le Hardi.

Ne serait-ce pas, là encore, pour ce personnage complexe, polyvalent, une manière de travailler à sa propre renommée ?

Marie-Hélène Tesnière, de la Bibliothèque nationale de France

- À voir : jusqu'au 17 juin 2012 l'exposition Gaston Fébus (1331-1391)
Prince Soleil, Armas, amors e cassa

Affiche de l’exposition Gaston Fébus (1331-1391) Prince Soleil, Armas, amors e cassa au château de Pau

Cette exposition est organisée par le musée national du château de Pau, le musée de Cluny-musée national du Moyen Age, la Bibliothèque nationale de France et la Rmn-Grand Palais.

Pour en savoir plus :

- Sur nos deux invités :
- Philippe Contamine, historien médiéviste, est membre de l'Académie des inscriptions et belles lettres.

- Marie-Hélène Tesnière est conservateur général des Bibliothèques, Département des Manuscrits à la Bibliothèque nationale de France.

Où consulter, de nos jours, les copies du Livre de la chasse ?

-* Copie de Philippe le Hardi : musée de l'Ermitage, Saint Pétersbourg

-* Copie de Gaston Fébus (en grisaille) : le Français 619, Bibliothèque nationale de France

-* Copie du duc Louis d'Orléans : Pierpont Morgan Library, New York

-* Copie du dauphin Louis de Guyenne : le Français 616 de la Bibliothèque nationale de France.

Manuscrit 619 Livre de la chasse, "chasse au loup"


Les illustrations des manuscrits BNF Français 619 et 616 sont consultables sur le site
mandragore.fr

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