Claviers en miroirs : le récital de piano revisité par Michaël Levinas

Un concert d’un nouveau genre au Collège des Bernardins : bienvenue dans le monde de la "concertation"
Avec Marianne Durand-Lacaze
journaliste

Le Collège des Bernardins ose une programmation musicale peu commune avec l’événement joliment baptisé Claviers en miroirs, en donnant carte blanche à Michaël Levinas, de l’Académie des beaux arts, concertiste et compositeur, figure de la "musique au présent". Les musiques de Bach, de Beethoven et de Levinas, seront interprétées par des virtuoses du clavier. Michaël Levinas et Maxime Pascal, le jeune chef d’orchestre qui dirigera le concerto pour piano espace n°2 de Levinas, sont les invités de Canal Académie grâce à Marianne Durand-Lacaze.

Émission proposée par : Marianne Durand-Lacaze
Référence : carr849
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Le jeudi 19 janvier 2012, dans la nef du collège des Bernardins à Paris,
Michael Levinas, piano ; Alain Planès, pianoforte ; Pierre Hantaï, clavecin, interprèteront Bach et Beethoven. Au rendez-vous : Le Clavier bien tempéré et deux des plus magistrales sonates de Beethoven pour un concert unique à 20 H. L'idée de ce concert particulier qui veut donner la primauté à la qualité de l'écoute consiste à réunir trois claviers en « majesté » dans la nef du Collège des Bernardins pour un programme original. Le public pourra entendre des extraits du Clavier bien tempéré de Bach, ô combien célèbre, interprété par Michaël Levinas, Pierre Hantaï et Alain Planès et deux sonates de Beethoven : la sonate pour piano n° 17, en ré mineur opus 31 n°2 La tempête au pianoforte par Alain Planès et la sonate pour piano de Beethoven, n° 21 en do majeur op 53 Waldstein, par Michaël Levinas dont on connaît la grande passion concertiste pour Bach et Beethoven. L'écriture musicale de Michaël Levinas n'est pas religieuse mais d'inspiration fortement judéo-chrétienne.

Michaël Levinas et Maxime Pascal, 4 janvier 2012, Canal Académie
© MDL\/Canal Académie


Le lendemain, encore dans la nef, dans la grande sacristie, l’Ensemble Le Balcon dirigé par Maxime Pascal interprètera un concerto composé par Michaël Levinas. Le concerto pour piano-espace n°2, pour piano, 5 instruments, deux bandes magnétiques et dispositifs électroacoustiques devrait faire des étincelles sous la baguette de ce jeune chef dont l'énergie et la curiosité ont séduit Michaël Levinas qui l'a eu comme élève, il y a quelques années déjà.

Collège des Bernardins, Paris

La deuxième soirée est placée sous le titre « Invariable clavier du baroque au XXe siècle ». Elle invite à un voyage dans le temps autour d'un instrument qui a peu évolué au cours des siècles, si on prête attention. Des touches blanches et noires, très adaptées à la main, restent les composantes habituelles des claviers depuis le Moyen Âge. Pour Michaël Levinas, cette relation avec la main est ce qu'il y a de plus humain, dans le mode de l'émotion avec la respiration, elles ont des incidences sur le langage musical. Michaël Levinas s'intéresse à l'écoute, à la transmission orale de l'enseignement de la musique. Le public entendra peut-être, non pas ce sens caché mais cet invisible travail par une écoute attentive. Concert, fêtes et spectacle seront au rendez-vous. Le mot de concertation, plutôt que celui de "concert" est proposé par Michaël Levinas pour décrire cet événement. La réflexion sera au cœur de la soirée du vendredi 20 janvier 2012 avec une table ronde sur l'histoire du clavier, sur l'écriture musicale particulière qu'il suscite depuis si longtemps. Les connaisseurs de l'œuvre de Michaël Levinas savent combien ces questions sont à ses yeux, essentielles. Qu'est-ce qui fait qu'une œuvre vit au fil des siècles, qu'elle est transposable d'un support à l'autre ? Comment l'écrit du compositeur, à travers l'évolution des sons, des lutheries, traverse les époques dans notre civilisation ?

Mais surtout, ce soir-là, sera donnée en création mondiale, une pièce de Michaël LevinasPoème battu. Surprise intégrale pour ce poème dont la langue et la musique des voyelles ont fasciné Michaël Levinas dont la voix portera le poème de Gherasim Luca qui lui a inspiré cette pièce musicale. En écho, la voix d'un acteur répondra doublée de rythmes tambourinés.

Le concert sera suivi ce jour-là à 20 H 45, au grand auditorium des Bernardins, d’une table ronde autour de Michaël Levinas sur le thème du clavier, pour s’interroger sur son évolution au cours du temps et sur l’évolution de l’écriture du clavier entre le XVIIe, le XIXe et le XXe siècle.

Maxime Pascal dirigeant l’Ensemble Le Balcon, à la Cité Universitaire, à Paris, novembre 2011
© Meng Phu


Extraits de l'interview

-M. Durand-Lacaze : D’abord Michael Levinas, quelle était votre intention en proposant au Collège des Bernardins une invitation musicale avec un titre aussi poétique « claviers en miroirs », un concert autour du clavier ?

-M. Levinas : Quand on est à Canal Académie, on sait que certains murs vénérables qui ont été habités par la spiritualité, comme ceux du Collège des Bernardins, engendrent aussi la liberté. J'ai retrouvé aux Bernardins, cette liberté, cette spiritualité et ces traditions. Le lieu est en plus, inspiré par le Père Antoine Guggenheim dont les activités philosophique et théologique m'ont plu. J'ai senti que c’était le moment de retrouver cette liberté d’exprimer, à la fois une joie devant quelque chose qui a été transmis, c'est-à-dire des grands textes. Les Bernardins incarnent tout de même le lieu du Livre et de la tradition de la transmission de l’écrit. En même temps, l'idée était de présenter un très jeune ensemble musical qui abat les cloisons entre les genres, et qui tout en ayant hérité des expériences très fortes du siècle, invente quelque chose de neuf ; et dans lequel je ressens une sorte de miroir qui propulse vers au-delà de mon époque et de ma génération. J’ai ressenti la nécessité de faire une création avec eux sur un texte de Gherasim Luca, et de prendre une autre de mes pièces, intitulée « le concerto pour un piano-espace », qui est une sorte d’extension, une modernisation, et en même temps une métamorphose de ce qu’il y a de plus traditionnel, de ce qui n’a jamais bougé pendant dix siècles : le clavier. Dans la tradition occidentale, le clavier est un mystère par sa longévité. Tout le monde sait qu'il y a des touches blanches, noires, mais elles sont en haut, en bas, en relation avec la main, ce qu’il y a de plus humain, dans le mode de l’émotion avec la respiration. Elles ont des incidences sur le langage musical. Avec cette jeunesse, présente à travers la prestation de l'Ensemble Le Balcon, associée à la tradition évoquée précédemment, on va s’interroger au début de ce siècle, sur ce que serait la transmission, l’œuvre, l’écrit, l’impossibilité de transmettre par l’écrit, et sur la question de la sonorité du son. Comment l’écrit traverse les époques à travers l’évolution des sons, des lutheries, dans notre civilisation ?

M. Durand-Lacaze : C'est un programme ambitieux et original qui lie le concert et la réflexion, à travers une table-ronde !

M. Levinas : C’est une anticipation de quelque chose dans un lieu où l’on pouvait se poser ces questions, et en même temps, imaginer une autre forme de concert que les récitals ou les concerts de musique contemporaine -concerts que j’admire !

M. Durand-Lacaze : Vous avez voulu revisiter le récital de piano classique en proposant un large éventail que reflète la programmation musicale associée à un moment de réflexion.

M. Levinas : J’appelle cela une "concertation".

M. Durand-Lacaze : Pour une meilleure écoute ?

M. Levinas : Enfin une écoute à la fois renouvelée et critique pour les mélomanes. Il ne s'agit pas de soirées de théorie, de persécution intellectuelle, ce sont des soirées de musique. Il y a une énergie qui va traverser la grande nef des Bernardins. Je l’espère ! Enfin j’en suis presque certain.

M. Durand-Lacaze : Maxime Pascal, comment voyez-vous cette transmission que vient d’évoquer Michaël Levinas ?

M. Pascal : C’est passionnant ce que dit Michaël car notre génération de musiciens a un lien très fort avec toutes les charges spirituelles que peuvent contenir les textes, notamment la musique de Messiaen, de Stockhausen, tout ce qui a été écrit depuis les années cinquante. La charge spirituelle est très forte dans le texte. Et c’est très important pour nous, de venir jouer la musique de Michaël Levinas au Collège des Bernardins. Notamment parce que nous sommes aussi liés à la musique mixte et à la musique électronique, c’est-à-dire à la machine, aux haut-parleurs. Les propos de Michaël me font penser à ce que disait Jonathan Harvey à propos de la musique électronique. Il parlait des liens entre la musique électronique et la musique d’église et disait que le lien c’est la musique invisible. On ne voit pas les instruments jouer quand la musique sort des hauts-parleurs, de la même manière qu’on ne la voit pas quand l’organiste joue à l’église. Il y a ce lien très fort. C’est très important de s’interroger sur ces questions : les questions de la transmission, tous ces aspects de la musique…

M. Durand-Lacaze : « Claviers en miroirs » est une expression que vous avez trouvée Michaël Levinas ?

M. Levinas : Oui, je l’ai trouvée. J’avais aussi envie d’appeler cela « Éternels claviers » puisqu'on va interpréter de la musique qui va jusqu'à la fin du XXe siècle sur les modes de jeux, de traditions. L'idée est d’oublier toute la gangue interprétative de ces musiques pour piano des XIX e et XXe siècles alors que l'instrument ne cessait de se moderniser. C’est très passionnant sur la lecture de Bach, parce que la musique de Bach est une musique religieuse, faite pour des espaces réverbérés, pour des sons qui tiennent. Évidemment, l’orgue dans un lieu sacré est tout à fait à sa place. Bien sûr le piano a été une sorte d’héritier des lieux sacrés car il a une résonance (c’est mon attitude de faussaire musicologique et historique). C’est ce que j’appelle le "piano-espace", une capacité d’exprimer la réminiscence. C’est pourquoi il a eu une telle influence sur l’opéra et la musique romantique comme quelque chose qui revient de loin, quelque chose qui monte vers le ciel… Évidemment cet instrument a été pour les pianistes et pour les musiciens, pour Busoni, pour Liszt, même pour Messiaen, pour Fisher, tous ces gens que j’admire, un instrument qui résonnait comme à l’église.

Ensemble Le Balcon


Pour en savoir plus

- Michaël Levinas sur le site de l'Académie des beaux-arts
- Maxime Pascal
- Ensemble Le Balcon, vidéo de l'enregistrement public effectué le 26 février 2010 en l'Église Saint-Merry, Paris du Concerto pour un piano-espace n° 2 (1980), dirigé par Maxime Pascal.

L'Ensemble Le Balcon joue Levinas le 19 janvier 2012 au Collège des Bernardins :

- Concerto pour un piano-espace n°2 (1980)
Alphonse Cemin, piano solo
Matthias Champon, trompette

- Le poème battu (2009) pour voix, piano, percussions et électronique
Rodrigo Ferreira, contre ténor
Alphonse Cemin, piano
François-Xavier Plancqueel, percussions
Augustin Muller, réalisation informatique

Florent Derex, direction technique
Maxime Pascal, direction musicale

- Collège des Bernardins
- Informations pratiques

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