Le couscous, de Rabelais à Alexandre Dumas !

La chronique Histoire et Gastronomie de Jean Vitaux
Avec Jean Vitaux
journaliste

Le Couscous est un plat traditionnel du Maghreb devenu de nos jours un plat populaire parfaitement intégré dans l’imaginaire gastronomique de la France. Mais depuis quand parle-t-on de couscous et quel a été son itinéraire pour parvenir jusqu’à nos tables ?

Émission proposée par : Jean Vitaux
Référence : chr696
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Le couscous est un plat du Maghreb, que l'on mange

"La semoule est <link:...> humectée d’eau salée et de beurre fondu<link:...>"

du Maroc à la Libye, mais qui n'a jamais été dégusté à l'est de la frontière égyptienne, où il est remplacé par le blé étuvé concassé ou borghol. Il doit son nom au blé dur et à la semoule de blé dur qui en est l'élément de base. Celle-ci est traditionnellement roulée dans un plat creux, humectée d'eau salée et de beurre fondu, puis seulement alors cuite à la vapeur. On la cuit actuellement dans un ustensile spécial, la couscoussière où la semoule est séparée du bouillon placé dans le compartiment inférieur. La tradition veut que, dans le Maghreb, on le mange de la main droite, et qu'il soit servi en fin de repas. C'est un plat de fête que l'on déguste après le coucher du soleil pendant le jeûne du mois de Ramadan.

De nombreuses garnitures peuvent accompagner le couscous. Traditionnellement les deux viandes les plus utilisées sont le mouton ou le poulet. On utilise parfois les abats de moutons comme les tripes et la tête de mouton. On y joint souvent des boulettes de viande (keftas), des brochettes (kébabs) et des saucisses de boeuf et de mouton épicées comme les merguez. Les légumes sont variés, fonction des ressources locales : carottes, navets, oignons, pois chiches, fèves, courgettes, fenouil, artichauts, et souvent des raisins secs. L'assaisonnement est réalisé par des épices brûlantes comme le ras-el-hanout ou la harissa, qui est une pâte de piments rouges que l'on humecte de bouillon : c'est le seul élément exogène du couscous, puisque le piment est arrivé au XVI° siècle d'Amérique, transitant par l'empire Ottoman.

Il existe de nombreuses variantes au couscous. On peut faire des couscous au poisson, surtout à la dorade dans les régions limitrophes de la Méditerranée, mais aussi au lapin. Et il existe même en Tunisie des couscous sucrés : le bouillon est remplacé par du lait sucré, et les légumes par des fruits secs : raisins secs, dattes, pistaches, amandes et noix.

Le couscous est accompagné de légumes variées :pois chiches, fèves, raisins secs ou encore de dattes

Le couscous est d'origine nord africaine, sans doute depuis plusieurs millénaires : le blé dur a donné naissance dans cette région du monde à la semoule et sans doute aux pâtes, qui ont ensuite conquis l'Italie et le monde : cette origine est bien plus vraisemblable que la légende de Marco Polo ramenant les pâtes de Chine à l'issue de son voyage rapporté dans « Le devisement du monde », car les techniques et les traditions sont différentes. Seigneurie, dans son « Dictionnaire encyclopédique de l'épicerie » paru en 1903, rapporte qu'en Afrique, le couscous était une semoule à base de sorgho ou de mil mélangés à des feuilles de baobab séchés et que l'on servait avec des poissons. Urbain Dubois, mort en 1901, dans son livre « Cuisine de tous les pays » cite une recette de couscous dans le chapitre soupes. Joseph Favre dans son « Dictionnaire universel de cuisine » fait sans doute preuve d'imagination en nous disant : « Le couscous est un aliment primitif de cette grande civilisation arabe (...) Les Carthaginois l'élevèrent à la dignité de plat national, dont se trouve la recette dans un ouvrage de Caton « De Re Rustica ». Puis il cite une recette de couscous indien à base de ... sauterelles salées et fermentées, puis il ajoute « en Algérie, les sauterelles sont imitées par des raisins de Malaga ; mais le plus souvent le couscous se fait simplement avec de la farine de couscous ou avec du maïs ». Ce docte théoricien de la cuisine n'avait sans doute jamais consommé de couscous !

Le couscous est anciennement connu dans la littérature française. Rabelais, qui dans ses oeuvres fait un catalogue exhaustif de

Rabelais dans Gargantua parle de coscossons

tout ce qui peut être mangé, parle de « force coscossons et renfort de potages » dans Gargantua, d'un « grand pot beurrier plein de coscotons » dans le Tiers Livre et de « coscotons à la moresque » dans le Cinquième Livre : ce grand médecin humaniste était un gastronome bien informé puisqu'il cite dans ce plat à la mauresque, deux ingrédients essentiels, le beurre et le bouillon. Alexandre Dumas parle du « coussou coussou » qu'il avait sûrement connu lors d'un de ses voyages en Tunisie, mais il avait été plus impressionné par la recette du méchoui, longuement détaillé dans l'article mouton de son « Grand Dictionnaire de Cuisine » paru après sa mort en 1873. Il parle brièvement du couscoussou dans le numéro du 19 février 1850 de sa revue « Le Mousquetaire, journal de M. Alexandre Dumas » dans un article sur la chasse au porc-épic à Constantine : à l'issue de la chasse, comme le porc-épic n'était pas un plat très goûteux : « Tous les convives imitent son exemple et se rejettent sur le couscoussou et les dates qui entourent le plat d'honneur ».

Le couscous est devenu un plat populaire en France avec les mouvements migratoires du XX° siècle, d'abord avec les Algériens envoyés en France durant la guerre de 1914-1918 pour remplacer les ouvriers dans les usines, puis surtout après la seconde guerre mondiale, avec l'afflux de main d’œuvre immigrée pendant les « trente glorieuses » Enfin avec l'afflux des Français d'Algérie après l'indépendance de l'Algérie en 1962. Le couscous a été naturalisé, est devenu un des plats les plus populaires en France, et il existe dans toutes les villes de France, des restaurants spécialisés dans le couscous. Paul Balta, dans « Boire et Manger en méditerranée » affirme même avoir trouvé en Belgique « un restaurant dont la spécialité est le couscous frites ». Le dernier avatar de couscous est le couscous royal, plat pour touristes qui associe plusieurs viandes, mouton, poulet, boulettes et merguez. Mais, comme le font remarquer Pascale Tournier et Stéphane Reynaud, dans Les cuisines de la République , « le couscous, bien que deuxième plat favori des français », reste « non grata à l'Elysée »....

Dr Jean VITAUX.

En savoir plus :

Jean Vitaux est non seulement docteur en médecine et spécialiste gastro-entérologue mais aussi fin gastronome, membre de plusieurs clubs renommés, et, bien sûr, grand connaisseur de l’Histoire de la gastronomie. Il est, avec Benoît France, l'auteur du célèbre Dictionnaire du gastronome (éditions PUF).
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