Internet et les réseaux sociaux : nouveaux médias d’information ?

Avec Francis Balle, auteur de Médias & Sociétés, dont vient de paraître la 15ème édition. Entretien avec Myriam Lemaire.

L’actualité de l’année 2011 l’a confirmé : Internet et les réseaux sociaux, comme Twitter ou Facebook, sont devenus des moyens d’information. Quels sont les enjeux et les conséquences de l’apparition de ces nouveaux médias ? Francis Balle, professeur à l’Université Paris 2, ancien membre du CSA, invité par Myriam Lemaire, répond à ces interrogations et livre sa réflexion sur ces bouleversements.

Émission proposée par : Myriam Lemaire
Référence : ecl704
Télécharger l’émission (53.09 Mo)

Cette émission a été enregistrée en juin 2011.

Francis Balle, universitaire spécialiste des médias, a publié pour la première fois en 1980, Médias & Sociétés, dont la 15ème édition, enrichie et mise à jour vient de paraître. Cet ouvrage est considéré comme « la Bible des Médias ».
Il est aussi l’auteur d’un « Que sais-je ? » sur Les Médias, dont la 6ème édition est parue en 2011. Il est cofondateur de la « Revue européenne des médias », dont le numéro 18-19 vient de paraître et qui est conçue et réalisée par l’Institut de recherche et d’études sur la communication (IREC), qu’il dirige.

Un nouveau basculement

Francis Balle rappelle qu’il y a 30 ans, la télévision a mis fin au règne absolu de la presse imprimée. Mais c’est l’arrivée d’Internet qui a bouleversé le paysage des médias au milieu des années 1990-2000, marquant une véritable rupture au tournant du 20ème siècle.En 2010-2011, l’essor des blogs et des réseaux sociaux, comme Facebook ou Twitter, a provoqué un basculement considérable.
« Internet continue à faire ce que les autres médias faisaient avant mais il ajoute des services nouveaux interactifs en direct ».
« C’est un basculement qui nous oblige à revoir toutes les règles du jeu », explique Francis Balle.

Il évoque le rôle joué par le site Twitter dans plusieurs événements d’actualité : révolutions dans le monde arabe, catastrophes au Japon, mise en accusation à New York du directeur général du FMI.
Qu’est-ce qu’un twit ? C’est un gazouillis, précise Francis Balle, un message très court qui ne dépasse pas 140 signes, espaces compris.
Ces petits messages permettent d’apporter l’information en temps réel. Elle est ensuite relayée par la télévision à travers des images qui peuvent être « sidérantes », puis viennent les analyses et les commentaires de la presse écrite.

Des opportunités et des risques

Francis Balle souligne l’importance que les grandes marques accordent à ce que l’on dit d’elles sur les réseaux sociaux qu’elles surveillent en permanence. Alors que jusqu’en 2005, Internet était pour elles un moyen de promotion, de publicité et un outil commercial, il est devenu un moyen d’information pour les entreprises comme pour les institutions publiques.
« Mais il faut savoir raison garder », dit Francis Balle, rappelant que « le nouveau n’a jamais remplacé l’ancien ». Il observe que « ces nouveaux médias ouvrent des perspectives inattendues pour les anciens médias », comme la vidéo sur certains sites. « Internet offre une deuxième vie à la radio et à la télévision », avec notamment la possibilité de podcaster des émissions et d’accéder à la télévision de rattrapage.

Analysant les usages des réseaux sociaux pendant les manifestations à Téhéran en 2009, puis dans les pays arabes en 2011, il souligne que pour la première fois, des gens ont pu s’exprimer pour contourner la censure, informer leurs concitoyens et aussi les médias étrangers.
Mais ces médias sociaux, comme la langue d’Esope « charrient le meilleur et le pire ». Ils diffusent aussi des rumeurs et de la désinformation. Ils informent sur la vie privée des gens et peuvent favoriser la délation.

Le journalisme à l’épreuve du web 2.0

Francis Balle nous met en garde contre l’utopie d’un monde où tous seraient journalistes grâce au web : « Une société sans journalistes est une utopie dangereuse ». Il rappelle aussi qu’Internet est, comme les autres moyens de communication, soumis au contrôle des lois.
Pour Francis Balle, nous sommes dans une situation paradoxale : « D’un côté, chacun a le moyen de s’exprimer et de communiquer mais plus que jamais, la distinction entre le journaliste et l’amateur doit être radicale. Le journaliste est rappelé à l’ordre par ces blogs ». D'après Francis Balle, avec Internet, « le journalisme est invité à revenir à ses principes fondateurs qui n’ont pas varié : la vérification des faits, la rigueur de l’analyse, la sincérité du commentaire ».
En même temps, le journalisme doit se réinventer et maîtriser des langages différents et multimédias.

Informations et secrets

À propos de la relation entre les médias et les hommes politiques, Francis Balle livre son analyse sur les différences de conceptions en France et aux Etats-Unis, à la fois sur la mission du journaliste et sur la vie privée et la vie publique.
Pour éviter d’être soupçonné de collusion, « le journaliste doit savoir toujours garder ses distances ». Il doit savoir aussi que « toute vérité n’est pas bonne à dire ». Comme pour le médecin ou le professeur, « il doit toujours se demander quelle est la réceptivité d’un public ».
Évoquant le site WikiLeaks qui, en 2010, a remis à cinq journaux 250 000 dépêches diplomatiques américaines, après avoir publié des documents secrets de l’armée américaine, il en tire les enseignements :
« Il n’y a pas de vie diplomatique s’il n’y a pas de secret ». Comme pour la vie privée et les secrets de famille, « la transparence doit comporter des limites ».

Comment s’informent les Français ?

Francis Balle constate qu’ils s’informent différemment selon leur âge. Il distingue cinq générations dont les usages sont différents. Il observe que les Français ont compris le rôle de Twitter et des réseaux sociaux et qu’ils savent utiliser ces nouveaux médias et les médias classiques pour s’informer.

La revanche de l’écrit

« Nous sommes dans une ère nouvelle qui s’est ouverte, après la chute du Mur de Berlin, sous l’effet conjoint de la révolution numérique et de la mondialisation de l’économie », explique Francis Balle.
Il constate « la fin de l’hégémonie des mass média » mais aussi que « la technique offre sa revanche à l’écrit ». Selon notre invité, « l’écran est en train de sauver l’écrit ». Citant l’exemple de Canal Académie, il observe que : « ce qui sauve la radio, c’est l’écran et l’écrit ».

En savoir plus :

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Francis Balle est professeur de science politique à l'Université Panthéon Assas (Paris 2) où il a créé, en 1985, un DEA Médias et Multimédias et, en 1999, le DESS Communication et Multimédia, devenu master 2 professionnel en 2006. Il y dirige l'Institut de recherches et d'études sur la communication (IREC).
Docteur d'État ès lettres et diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris (service public), il est successivement professeur de philosophie au lycée français d'Oran (1963 1965), puis assistant à la faculté d'Alger (1965-1967). De retour en France, il devient l'assistant de Raymond Aron puis maître assistant à la Sorbonne (1967-1972). En 1972, il est le premier à donner un cours général de licence sur les médias en Faculté de droit. Il dirige l'Institut français de presse (IFP) de 1976 à 1986. Vice-chancelier des Universités de Paris de 1986 à 1989, il est nommé en janvier 1989 membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel. Depuis 1981, il est professeur invité à l'Université de Stanford (Californie).
Il est l'auteur de :
-* Médias & Sociétés, 15ème édition (éditions Montchrestien)
-* Les Médias (Que sais-je ? PUF, 6ème édition)
-* « Revue européenne des médias », à consulter ici

- Ecoutez sur Canal Académie :
-* Internet bouleverse tous les médias, avec Francis Balle
-* Francis Balle : Médias & sociétés, 13e édition
-* Société d’information et respect de la vie privée
-* « Internet, aide ou danger pour la démocratie ? » par Isabelle Falque-Pierrotin, Conseiller d’Etat

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