Les frères Caillebotte. Reflets entre le peintre et le photographe

Entretien avec Nicolas Sainte Fare Garnot, conservateur du Musée Jacquemart-André à Paris
Avec Krista Leuck
journaliste

Nicolas Sainte Fare Garnot, conservateur du Musée Jacquemart-André se fait notre guide à travers l’œuvre des frères Caillebotte. Dans la première partie de l’entretien sont évoqués le nouveau Paris haussmannien de la IIIè République qu’ils traversent, la transformation de la ville et les effervescences artistiques ainsi que le parcours de deux Caillebotte dans cette époque, et le portrait de chacun d’eux. La seconde partie porte, elle, sur l’oeuvre artistique de Gustave, le peintre, et sur celle de Martial, le photographe.

Émission proposée par : Krista Leuck
Référence : carr783
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L'exposition "Dans l'intimité des frères Caillebotte" se tient au Musée Jacquemart-André à Paris jusqu'au 11 juillet 2011. Elle voyagera ensuite au Musée national du Québec où elle ouvrira au public en octobre 2011.

Avec cette exposition, le Musée Jacquemart-André s’applique à l’art de la confrontation : mettre en regard un grand maître et ses contemporains ou ses précurseurs.
L’inédit de cet exercice est de juxtaposer les œuvres de deux frères, d’examiner en quoi elles se ressemblent et en quoi elles diffèrent. D’en mesurer l’air de famille, en somme.
Outre qu’il s’en dégage de curieuses analogies, l’étude nous replace aux débuts d’une opposition qui subsiste encore entre deux modes de représentation visuelle : La peinture et la photographie.
Comment ce medium naissant de la photographie venait-il concurrencer la peinture sur son propre terrain ?

Canotier au chapeau haut de forme 1877-1878, huile sur toile, 90 x 117 cm, collection particulière
© Courtesy Comité Caillebotte, Paris

Tous deux fils d’un riche entrepreneur, Gustave et Martial Caillebotte, ont eu le loisir de choisir une carrière artistique. Gustave s’adonne à la peinture et Martial se consacre à la musique, avant de découvrir la photographie dans les années 1890. Ils partageaient de nombreuses passions, pour les jardins, la philatélie ou le yachting. En peinture ou en photographie, ils restituent les multiples facettes de leur quotidien, leur engouement pour les activités de plein air, mais aussi l’attention qu’ils portent à la vie familiale.

Nicolas Sainte Fare Garnot nous rappelle l’histoire et le parcours des deux Caillebotte dans le nouveau Paris haussmannien de la Troisième République. Il nous fait pénétrer dans l’intimité de la famille Caillebotte et nous dresse un portrait de chacun des deux frères, avec leurs affinités et leurs oppositions.

Gustave Caillebotte (1848-1894) à qui le Musée d’Orsay a consacré une grande exposition en 1994, est très actif dans le groupe des Impressionnistes. Il collectionne aussi l’art de ses amis et devient leur mécène.
On qualifie volontiers cet artiste « d’original et audacieux ». De fait, il se révèle être un véritable inventeur de nouvelles perspectives. Le regard aiguisé et les commentaires jubilatoires de Nicolas Sainte Fare Garnot, nous font découvrir, entre autre, les finesses et les particularités de deux tableaux significatifs, Les peintres en bâtiment et Le déjeuner dans tous ses détails et ses trouvailles.

Les Peintres en bâtiment 1877, huile sur toile, 87 x 116 cm, collection particulière
©Courtesy Comité Caillebotte, Paris
Le déjeuner, 1876
© Studio Sébert Photographes

L’art à la fenêtre

Boulevard vu d’en haut 1880, huile sur toile, 65 x 54
© courtesy Comité Caillebotte

Le thème du personnage à la fenêtre est un motif de prédilection chez l’artiste qui en propose de nombreuses versions autour des années 1880. Frontière entre le dedans et le dehors, la fenêtre offre sa transparence à notre regard : elle constitue un poste d’observation privilégié de la réalité. Comme le note le catalogue de l’exposition :
«… avec cette plongée du regard, presque à la verticale,
Gustave Caillebotte fait disparaître à la fois le premier plan et l’habituelle ligne d’horizon. Il innove ici à la fois par le thème retenu et par le cadrage de la composition ».

Le fonds photograhique de Martial Caillebotte

L’exposition au Musée Jacquemart-André trouve son actualité dans la commémoration du centenaire de la disparition de Martial Caillebotte (1853-1910). Une exceptionnelle occasion de mieux connaître son œuvre photographique.
Il fut d’abord pianiste et compositeur. C’est vers 1890 qu’il commence à s’initier à ce medium devenu à la mode après les découvertes de Nièpce et Daguere dans les années 40.
Au-delà d’un violon d’Ingres du début, la photographie est alors une vraie passion pour Martial. L’exposition de Jacquemart-André illustre très clairement les rapports qu’entretiennent la peinture et la photographie des deux frères.

Maurice Minoret ramant Tirage photographique, 11 x 8 cm, collection particulière © D.R.
© D.R.

Gustave Caillebotte et Bergère sur la place du Carrousel 1892, tirage photographique, 15,5 x 10,5 cm Collection particulière
© D.R.

Martial et son frère Gustave partagent de nombreux sujets : les vues du nouveau Paris, les villégiatures, le nautisme, les jardins… Martial couvre tout le spectre de la photographie d’amateur, atteignant un excellent niveau, ses clichés présentant un réel apport à l’art de son frère. Quelques photographies de famille, de voiliers ou d’ouvriers au travail sont absolument remarquables. Une va toutes les surpasser : celle de Gustave en hiver : vêtu d’une élégante redingote on le voit devant le Louvre en compagnie de son chien. Une prise de vue qui aurait, incontestablement, sa place dans une histoire de la photographie au XIXe siècle, note Serge Lemoine, dans le catalogue de l’exposition.

Le « scandale » du Legs de Gustave Caillebotte

Gustave Caillebotte, le collectionneur, est particulièrement lié à Renoir qu’il désigne comme son exécuteur testamentaire. Trois ans après la mort de l’artiste, quarante œuvres, parmi lesquelles des Degas, Renoir, Monet, Manet, Sisley ou Pissarro entrent dans les collections nationales, au Musée du Luxembourg. Cet évènement soulève la protestation de nombreux membres de l’Institut. Ils s’indignent à l’idée que de semblables « pochades » puissent revendiquer la dignité d’œuvres d’art. Jean-Léon Gérôme se montre des plus virulents protestataires. Dans le Journal des Artistes, il s’insurge : « Nous sommes dans un siècle de déchéance et d’imbécillité. C’est la société entière dont le niveau s’abaisse à vue d’œil… Pour que l’Etat ait accepté de pareilles ordures, il faut une bien grande flétrissure morale. » ! (voir « L’inhumain » de Nicolas Grimaldi, PUF, 2010).
Nicolas Sainte Fare Garnot nous relate ce pittoresque épisode de l’actualité artistique d’alors.

La courte pause musicale que vous pouvez entendre durant l'émission est un extrait d’une composition de Martial Caillebotte

Nicolas Sainte Fare Garnot, historien de l’art spécialiste de la peinture française, est le conservateur du Musée Jacquemart-André depuis 1993. Depuis sa nomination au Musée Jacquemart-André, il a réorganisé la distribution des collections selon le programme d’origine et a lancé des campagnes de restaurations et d’inventaires. Avec Culturespaces, il contribue à créer une nouvelle dynamique au sein du musée en apportant son concours scientifique aux expositions temporaires organisées deux fois par an.

Pour en savoir plus :
- Musée Jacquemart-André. L’exposition « Dans l’intimité des frères CAILLEBOTTE, peintre et photographe », est en partenariat avec le Musée national des Beaux-arts du Québec, où elle sera ouverte au public dès octobre 2011.
- Site de l'exposition
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