Paul Andreu, de l’Académie des beaux-arts : de l’architecture à l’écriture

Roman, lettre-manifeste et livre d’artiste, les derniers livres de l’architecte de Roissy et de l’Opéra de Pékin
Avec Marianne Durand-Lacaze
journaliste

On connaissait l’esprit libre de Paul Andreu, l’audace de son œuvre architecturale, son premier roman remarqué La Maison. Il récidive avec un deuxième roman, une adresse et un livre d’artiste : Les eaux dormantes, Lettre à un jeune architecte et Y-avait-il des oiseaux ? Entre la trace des souvenirs enfouis et les rencontres à venir avec les nouvelles générations d’architectes, voici les mots de l’architecte écrivain.

Émission proposée par : Marianne Durand-Lacaze
Référence : pag954
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Lettre à un jeune architecte 

Lettre à un jeune architecte, publié chez Fata Morgana en 2011 surprend par son originalité. Ce petit livre met en parallèle deux histoires successives. L’une écrite au printemps 1999 est un discours prononcé par Paul Andreu devant ses confrères chinois au moment du choix définitif du lauréat du concours de l’Opéra de Pékin auquel il participait. L’autre est une histoire suggérée par des dessins choisis dans ses carnets qui décline au stylo le projet de l’Opéra qui s’est naturellement inscrit dans le paysage urbain de la capitale, à deux pas de la Cité Interdite, dont la construction a pris neuf ans.

 

L’architecte de Roissy et de l’Opéra de Pékin, inauguré en 2007, et de tant d’aérogares à travers le monde, musées, théâtre, centre d’arts, allie dans cette adresse, le trait, celui de sa main dessinant, et les mots. Détestant théoriser, refusant de centrer son propos sur le seul projet qu’il avait alors à défendre, il s’offrit la coquetterie d’une adresse en forme de lettre : évident clin d’œil à Rainer Maria Rilke et ses Lettres à un jeune poète. C’est donc le long processus de maturation de l’architecte et de ses créations qui retient l’attention de Paul Andreu dans ce discours où il se refuse à discourir. Le désir de transmission et de partage l’emporte. Pour convaincre à Pékin, au lieu de parler de l’Opéra, il choisit d’évoquer Roissy, terreau de son écriture architecturale. Il avait à peine trente ans pour la construction de l’aérogare numéro 1 et se souvient.

Extrait

Mais très vite il est apparu au jeune architecte que j'étais et à tous ceux, beaucoup plus expérimentés qui participaient au projet, que de cette rigueur, de cette ascèse fonctionnelle, quelque chose émergeait qui était d'un autre ordre, qui ne se laissait plus saisir dans des démonstrations trop simples : la traversée de l'espace central par ces circulations aériennes dans lesquelles les passagers se croisent sans se rencontrer, les longs parcours obscurs qui, sans qu'ils puissent jamais en apercevoir ensemble les extrémités, les mènent du bâtiment central enfermé dans le réseau des routes aux satellites entourés d'avions prêts à partir, avaient, nous le découvrions en en parlant, quelque chose de symbolique, quelque chose qu'il nous fallait comprendre et respecter et qui était peut-être, venu à notre insu, l'âme du projet et sans doute la justification la plus profonde. _ 
Je n'ai jamais oublié cela...

 

Paul Andreu en 1996, © GianAngelo Pistoia

Les eaux dormantes 

 

Osant le "je" dans son dernier roman paru, Paul Andreu nous raconte l'histoire d'un homme cherchant la paix au soir de sa vie, au bord d'un étang, à la frontière du monde. Son esprit plonge dans ces eaux dormantes pour mieux tutoyer les nuages, la pluie et les grenouilles avec pour compagnie son corps souffrant et trois figures féminines salvatrices, aimantes. «Tout bouge ici pour peu qu'on reste immobile»...«Les yeux rivés à l'immobilité glauque, je vois se noyer la blancheur de nuages. Je perds conscience. Je dors sans doute. Je suis ailleurs.»

Extrait 

Je pense et je repense à ma vie, au trop plein de ma vie. A tout ce qui m'est arrivé, à tout ce que j'ai fait, avec si souvent la conviction que c'était important, que je n'oublierai pas, les bonheurs, les détresses, les plaisirs, les larmes, les deuils, les réussites. Et dans la nuit murmurante ou le jour, parfois, la douceur du corps des femmes. Inoubliable et pourtant aussitôt emportée dans l'indifférence ou la colère du temps. Que reste-t-il à la fin ? Le sentiment d'un territoire perdu pour avoir été parcouru en tout sens, sans arrêt, sans répit. Où tout se mêle. Dans lequel je ne reconnais plus rien de ce que j'ai pris, donné, reçu, de ce que j'ai cru aimé pour toujours, les personnes et les paysages. L'étang disparaîtra-t-il lui aussi ? Deviendra-t-il lui aussi une idée, une information engloutie dans la confusion des cent autres, détachée de toute émotion ? Comment le savoir ? Je verrai bien. Rien ne m'obéit. Ma mémoire pas plus que les vagues ou les vents. La seule certitude est qu'il faut veiller, attendre le jour, le saluer et le donner aux autres, nouveau, reposé, intact, lavé minutieusement, rituellement, par la nuit.

Pour en savoir plus

- Site officiel de Paul Andreu

 

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