Les mots des religions : jumeau

avec le grand rabbin Haïm Korsia
Haïm KORSIA
Avec Haïm KORSIA
Membre de l'Académie des sciences morales et politiques

Pourquoi la Bible attribue-t-elle autant d’importance à la gémellité ? D’Abel et Caïn à Jacob et Esaü, le Grand Rabbin Haïm Korsia, aumônier général israélite des armées françaises, nous décrypte ce topique du jumeau.

Il y a beaucoup de jumeaux dans la Bible ! Comme si elle voulait nous faire comprendre que la fraternité (et la dispute fraternelle) est au départ de la vie... Les plus célèbres : Caïn et Abel qui naissent jumeaux - et sans doute avec une soeur jumelle pour assurer la procréation. Mais Caïn ne veut pas épouser la jumelle de son frère !
- D'autres encore : Jacob et Esaü. Ismaël et Isaac.

Tous les patriarches font des efforts et des choix pour construire une famille et la faire vivre. Et nous de même.
Les jumeaux sont plus que des frères, non seulement le même père et la même mère mais le même instant, la même volonté. Or, les jumeaux sont radicalement différents.

Julius Schnorr von Carolsfeld, Caïn et Abel, 1860

Rebecca a des difficultés pour avoir des enfants. Isaac et elle prient -et chacun prie pour que l'autre ait des enfants, même sans lui ou sans elle (altruisme absolu). Enfin enceinte, elle n'arrive à comprendre quelque chose : quand elle passe devant une maison d'étude, elle sent que l'enfant veut sortir ; quand elle passe devant une maison d'idolâtrie, elle sent que l'enfant veut sortir. D'où son incompréhension. Elle ne comprend pas la logique, la cohérence. Elle se rend à la maison des grands sages : on lui dit qu'elle donnera naissance à deux enfants (deux grands peuples en son sein), l'un attiré vers l'étude, l'autre vers l'idolâtrie, Jacob et Esaü. Esaü naît le premier, Jacob lui tient le talon. Ces deux frères jumeaux sont opposés !

« Pour moi, l'histoire de Jacob et Esaü est extraordinaire, et surtout symptomatique de notre époque » dit le grand rabbin Korsia, « parce que tout pourrait les rapprocher et finalement tout les oppose. C'est souvent le cas dans les peuples ou dans les gens très proches ».

Govaert Flinck, Isaac bénissant Jacob, 1638

Jacob est un étudiant qui s'assied avant de s'engager, les aléas n'ont pas prise sur lui ; Esaü est un chasseur... déterminé par le gibier, son orientation est déterminée par un « accident » de la vie. Un jour, raconte la Bible, Esaü revient de la chasse, épuisé, affamé, et voit son frère avec un plat de lentilles (les commentaires expliquent pourquoi un plat de lentilles : le jour du décès d'Abraham, plat traditionnel). Esaü demande ce plat. Or, ce n'est pas un plat ordinaire puisque c'est le repas de la commémoration de la mort d'Abraham. Esaü s'en moque, il a faim ! « Voici, je vais vers la mort, à quoi me sert d'être l'aîné ». Jacob lui propose donc : vends-moi ton droit d'aînesse et je te donnerai les lentilles. L'un veut le côté immédiat de la vie, l'autre veut garder la responsabilité de la transmission. Et Esaü vend à la fois son droit et son devoir d'aîné. Or, ce droit, c'est la bénédiction première du père. Esaü va donc ruser pour récupérer cette bénédiction (déguiser son frère face à son père aveugle).

Jacob va se confronter à son frère avec ses mains. Il veut le tuer. Mais sa mère l'envoie chez Laban (archétype de la ruse). Il comprend que la ruse est nécessaire.

Les jumeaux font des choix différents alors qu'ils avaient vocation à se rapprocher. Esaü vit dans le monde matériel, Jacob est dans la transcendance du matériel vers le spirituel. « Un jour viendra, dit notre invité, où la spiritualité transcendra la matière... mais l'une a besoin de l'autre ». La dualité en vérité est une... ainsi en est-il de l'humanité.

En savoir plus :

Haïm Korsia est l’aumônier général israélite des Armées, secrétaire général de l’Association du Rabbinat français, administrateur du Souvenir français et ancien membre du Comité consultatif national d’éthique.
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