Souvenirs de famille : André François-Poncet, de l’Académie française. Un européen convaincu

Evocation en compagnie de son fils Jean François-Poncet
Avec Myriam Lemaire
journaliste

L’image d’André François-Poncet reste celle d’un brillant diplomate et d’un homme politique. Il fut aussi journaliste, écrivain et académicien.
Pour son fils, Jean François-Poncet, ancien ministre des Affaires étrangères de Valéry Giscard d’Estaing, aujourd’hui sénateur, le mot qui caractérise son père est celui d’Européen.
Au travers d’anecdotes et de récits, parfois dramatiques, où se mêlent la grande Histoire et l’histoire familiale, il évoque le souvenir de cette figure de l’Académie et les traits marquants de sa personnalité.

Émission proposée par : Myriam Lemaire
Référence : sdf508
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Au début de cette émission, Jean François-Poncet confie que son père a exercé sur lui « une grande influence, par son exemple plus que par ses conseils ».

Une carrière éclectique

Né le 13 juin 1887 à Provins, décédé le 8 janvier 1978 à Paris, André François-Poncet a été élu le 15 mai 1952 à l’Académie française au fauteuil du maréchal Pétain laissé vacant jusqu’à son décès, puis, le 27 novembre 1961, membre de l’Académie des Sciences morales et politiques, au fauteuil de Louis Marin. Il fut élu la même année, Chancelier de l’Institut de France.
Normalien et agrégé d’allemand, il fut professeur au lycée de Montpellier puis maître de conférences à l’Ecole polytechnique et journaliste à l’Opinion.
Mobilisé en 1914, il fut détaché, de 1917 à 1919, au service de presse de l’ambassade de France à Berne puis devint adjoint à la Mission économique internationale, aux Etats-Unis.
De retour en France il fut élu député de la Seine en 1924 et réélu en 1928, puis fut appelé au gouvernement comme sous-secrétaire d’Etat aux Beaux-Arts, à l’Economie nationale, puis à la présidence du Conseil.
Nommé délégué adjoint à la Société des Nations, il fut, de 1931 à 1938, ambassadeur de France à Berlin puis ambassadeur de France à Rome, de 1938 à 1940.
De retour en France, il fut arrêté par la Gestapo en 1943 et déporté en Allemagne jusqu’en 1945.
En 1949, il fut nommé Haut commissaire de la République française en Allemagne puis ambassadeur de France en République fédérale d’Allemagne jusqu’en 1955, année où il fut élevé à la dignité d’ambassadeur de France.
De 1955 à 1967, il fut vice-président puis président de la Croix-Rouge française.

Souvenirs d’enfance et de jeunesse

Jean François-Poncet rappelle les origines familiales d’André François-Poncet : « Mon père était originaire d’une famille de juristes. Son père était un magistrat qui a terminé sa carrière à la Cour d’Appel de Paris mais qui avait fait le tour des petites Cours de la région parisienne ».
S’il connaît assez mal les premiers pas de son père dans la vie, car « il n’a pas laissé d’autobiographie », Jean François-Poncet évoque l’élève brillant et précoce qu’il fut : « Il savait lire très jeune, à 4 ans. Il était trop jeune quand il est arrivé au baccalauréat ». Aussi son père décida-t-il de l’envoyer pendant un an en Allemagne, dans la famille d’un professeur, ce qui lui a permis d’apprendre très jeune l’allemand.
« Il a toujours dit que le fait d’avoir su lire à 4 ans et d’avoir disposé d’une année en Allemagne avait influé sur l’ensemble de sa vie ».

A l’Ecole Normale Supérieure

« Il a beaucoup aimé l’Ecole Normale Supérieure ». Il y a noué des amitiés, rappelle Jean François-Poncet, en particulier avec Jules Romains, l’auteur des « Hommes de bonne volonté », lui aussi normalien et plus tard membre de l’Académie française.
« Il venait souvent à la maison. Il était impressionnant car il était terriblement silencieux », dit notre invité.
Jean François-Poncet évoque au cours de cette émission l’influence de cette Ecole sur son père :
« Mon père avait un esprit qui était celui des normaliens et qu’il était capable de décliner en allemand ».
André François-Poncet était un homme de culture, un conteur amateur de calembours.

L’influence de la Grande Guerre

Après avoir été reçu à l’agrégation, André François-Poncet engagea une carrière de professeur d’allemand. Mobilisé en 1914, il connut la vie des tranchées et « la quintessence de la culture populaire ».
Blessé à Verdun, il fut affecté en 1917 au service de presse de l’ambassade de France à Berne, avec la mission de dépouiller la presse allemande. « Ça a développé chez lui un goût du journalisme qui l’a conduit à renoncer à l’enseignement ».
« Après la guerre, il voulait une vie plus active, plus mêlée aux événements. C’est ainsi qu’il est devenu journaliste et le journalisme, comme souvent, l’a conduit à la politique ».
Jean François-Poncet rappelle que son père fut élu député en 1924, sur une liste de centre droit, conduite par Paul Reynaud. Il effectua deux mandats de député.

André François-Poncet et sa famille : départ pour Berlin (1931). Photo parue dans Paris-Match


Ambassadeur à Berlin

Eminent germaniste, André François-Poncet avait fait « une thèse très remarquée sur les Affinités électives de Goethe ».
Sa parfaite maîtrise de l’allemand et sa familiarité avec la culture allemande lui valurent d’être nommé ambassadeur en Allemagne en 1931.
« Il parlait un allemand châtié qui impressionnait beaucoup Hitler » rappelle Jean François-Poncet.
Notre invité raconte qu’Hitler avait confié à l’un de ses proches dans le Bunker « qu’il évitait de parler de littérature allemande avec André François-Poncet parce qu’il en savait beaucoup plus que lui ».
L’humour et les mots d’esprit de l’ambassadeur de France étaient célèbres à Berlin. Il avait dit un jour que « Hitler était le fils naturel de Charlie Chaplin et de Jeanne d’Arc ».
Jean François-Poncet évoque les épisodes tragiques qui ont marqué son enfance à Berlin, tout particulièrement l’incendie du Reichstag, le 27 février 1933, « qui est mon premier souvenir d’être humain ». « C’est cet incendie qui a permis à Hitler et aux nazis de mettre l’Allemagne au pas et d’instaurer une dictature ».Il se souvient aussi des défilés du 3ème Reich, des marches militaires, des retraites aux flambeaux qui passaient sous les fenêtres de l’ambassade de France à Berlin.
Jean François-Poncet rappelle que son père, conscient de la montée des périls, avait déployé beaucoup d’énergie pour alerter les gouvernements et les généraux français sur les menaces que représentaient pour la France les projets de Hitler et le réarmement de l’Allemagne. Il se rendait à Paris de sa propre initiative car « en huit ans, il n’a été convoqué qu’une seule fois ». « Malheureusement ses mises en garde n’ont servi à rien. On peut se demander pourquoi », souligne Jean François-Poncet qui analyse les raisons de l’aveuglement des dirigeants de l’époque.

… puis à Rome

L’ambassadeur André François-Poncet

Après huit années éprouvantes à Berlin, André François-Poncet demanda à être affecté à l’ambassade de France à Rome qu’il rejoignit en 1938.
« Le normalien qu’il était, l’humaniste doté d’une vaste culture était attiré par Rome ». Il pensait « que l’alliance entre l’Italie et l’Allemagne n’était pas si solide » et il espérait mettre en garde les Italiens contre les dangers du pacte avec l’Allemagne.

En captivité

La déclaration de guerre en juin 1940 mit fin à cet intermède au Palais Farnèse. André François-Poncet et sa famille durent regagner la France.
Jean François-Poncet évoque l’arrestation de son père, à Grenoble, par la Gestapo et Klaus Barbie, sous les yeux de sa famille, en août 1943 puis sa déportation en Allemagne.
Un épisode douloureux qui s’acheva en 1945, après sa libération par la 1ère armée française, par des retrouvailles à Paris dont il se souvient avec émotion.

Un Européen convaincu

Après la guerre, André François-Poncet fut nommé Haut commissaire de la République française à Bonn puis ambassadeur de France en Allemagne, de 1949 à 1955.« Mon père, après la guerre, a mis toute son énergie et toutes ses convictions à construire une nouvelle relation entre la France et l’Allemagne pour ne pas retomber dans les ornières de l’avant-guerre ».
_ André François-Poncet est bien conscient que « l’entente franco-allemande n’est pas un arbre dont les racines plongent profondément dans le sol et qui peut défier les orages. C’est un jeune arbrisseau, qui ne prospérera et ne grandira que s’il est soigné par des mains délicates », [[ article du 16 novembre 1960 retranscrit dans« Au fil des jours, propos d'un libéral» (1942-1962)]]

Conrad Adenauer avec André François-Poncet. Photo parue dans Le Figaro d’Octobre 1963
« Le présent, et plus encore l’avenir immédiat de l’Europe sont suspendus à la personne de Conrad Adenauer » <br /> (5 janvier 1956).

Jean François-Poncet rappelle que son père était très proche de Robert Schuman, alors ministre des Affaires étrangères et fondateur avec Jean Monnet de la CECA.
Aux côtés de Robert Schuman et du Chancelier Conrad Adenauer, André François-Poncet fut un artisan de la réconciliation franco-allemande et de la naissance de la construction européenne.
Pour Jean François-Poncet, le mot qui caractérise le mieux son père est celui « d’Européen », lui qui préconisait : « Là où il n’y a pas d’Europe, mettons-en un peu et, là où il y en a déjà un peu, mettons-en davantage ! » [].

A l’Académie française

A propos de la réception d’André François-Poncet à l’Académie française, Jean François-Poncet évoque la tâche très difficile qui consistait pour son père à faire l’éloge de son prédécesseur, le maréchal Pétain, au début des années cinquante.
« C’était une sorte de gageure », souligne-t-il. « Il mesurait la difficulté de l’exercice. Il avait fait des recherches historiques très complètes ».
Notre invité se souvient avec émotion de la cérémonie de réception et de ce discours remarquable qu’il qualifie de « chef d’œuvre » et qu’il considère comme un modèle d’analyse historique équilibrée.

Aller plus loin

- Pour mieux connaître André François-Poncet, qui fut auteur de plusieurs ouvrages et collaborateur du Figaro, on peut lire, notamment :

• Etude sur les Affinités électives de Goethe (1910)

• Ce que je pense de la jeunesse allemande (1913)

• La France à Gênes (1921)

• La France et le problème des réparations (1922)

• Réflexions d’un républicain moderne (1925)

• Discours français (1930)

• Souvenirs d’une ambassade à Berlin (1946)

• Le Métier d’ambassadeur (1953)

• Carnets d’un captif (1953)

• Au Palais Farnèse (1961)

• Au fil des jours, propos d’un libéral (1962-1966)

• Stendhal en Allemagne (1967)

- Et le livre de Jean François-Poncet :
• 37, quai d’Orsay - Mémoires pour aujourd’hui et pour demain
publié chez Odile Jacob (septembre 2008).


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