Jean-Marie Rouart, de l’Académie française : La guerre amoureuse

Une réflexion sur les poisons de l’amour.
Avec Jacques Paugam
journaliste

Jean-Marie Rouart raconte dans son livre La guerre amoureuse la lente dérive d’un homme entraîné dans une aventure sadomasochiste par une belle étudiante aux allures d’ingénue... Comment explique-t-il qu’une femme puisse faire souffrir un homme ? Dans quelle mesure exprime-t-il sa vision personnelle de l’amour ? Réponses.

Émission proposée par : Jacques Paugam
Référence : pag859
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Notre invité, Jean-Marie Rouart, reçu à l’Académie française le 12 novembre 1998, a publié chez Gallimard un roman sombre, profond, aux accents parfois raciniens : La guerre amoureuse. Sa belle étudiante fait atrocement souffrir le narrateur du roman qui devient de plus en plus lâche. Tout en étant au moins conscient d’une chose : sa lâcheté. Et le plus étonnant c’est l’ivresse qu’il éprouve dans l’abaissement.

J.M R : Cela fait partie des poisons de l’amour. Il y a dans ces moments où l’on souffre, où l’on tombe dans les abîmes du cœur, des moments de désespoir, et d'autres où une petite lumière s’allume. On se dit que l’on vit plus intensément que les autres, que l’on est une sorte d’élu et que l’on partage ce que la poétesse Anna de Noailles appelait « l’honneur de souffrir ». Ce privilège de la sensibilité d’être un amoureux, un passionné, donne une sorte d’ivresse. L’amour donne un éclairage sur tout ce que nous sommes ; il révèle non seulement notre sensualité mais notre amour de la vie, notre désespoir aussi. Mon héros s’est inventé une passion. Cette femme est-elle réelle, est-elle imaginaire ? Ce qui est fascinant dans l’amour, c’est ce phénomène de création. L’amoureux invente un personnage à partir d’éléments réels.

A propos du masochisme, Jean-Marie Rouart cite la phrase : « Le masochiste s’avilit pour élargir la distance entre lui et l’idéal". Selon lui, cette question du masochisme – de ce désir de souffrir que l’on retrouve chez Dostoievski, chez Proust-, fait partie d’une forme d’érotisme.

Rouart se révèle fasciné par la beauté des femmes surtout lorsque cette beauté est associée à la pureté et l’innocence même si ce n’est qu’une apparence. Il aborde aussi l'image de la mère, belle et protectrice, avec cette phrase terrible : « Avec l’amour d’une mère, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais. »

J.M. R : Le cœur est un métal complexe dans lequel entrent des choses pures et des choses impures. C’est ce qui fait que tout au long de l’histoire, on a posé la question de l’amour sans pouvoir véritablement y répondre. Le roman est une longue histoire d’amour pour essayer de résoudre une énigme. Chaque fois l’écrivain apporte un peu de lui-même. Ce qui m’a intéressé dans ce livre, c’est d’ajouter une part personnelle. En écrivant, j’exprime ma vision de l’amour.

Son héroïne a trois obsessions : plaire, jouir et surtout se faire épouser. L'auteur éprouve-t-il une certaine tendresse pour elle, en l'excusant ? Il explique au fond que c'est l’évolution de notre société, l’échec de la modernité qui fait une victime de cette femme bourreau...

J.M R : Elle est victime de sa liberté. Je crois que c’est le cas des femmes d’aujourd’hui. Même si ce personnage de jeune fille est un peu perverse, j’y ai mis beaucoup de moi-même. Et puis j’ai beaucoup de tendresse pour les femmes qui tout au long de l’histoire ont été victimes des hommes. J’aime beaucoup la phrase de Vigny : « Après avoir étudié la condition des femmes dans tous les temps et dans tous les pays, j’en suis arrivé à la conclusion qu’au lieu de leur dire bonjour, on devrait leur dire pardon. » C’est pourquoi je peux comprendre les femmes qui font souffrir les hommes. Nous sommes actuellement dans un monde hors cadre où la liberté est un jeu cruel. Les gens en jouissent, veulent profiter de tous ses avantages mais souffrent de ses inconvénients.

Existe-t-il un amour heureux durable ?

J.M R : La fin est inscrite dans l’amour lui-même. Chateaubriand disait « L’amour est toujours trompé, fugitif ou coupable ». Donc on n’en sort pas. C’est quelque chose de merveilleux mais qui ne dure pas. Je pense que la passion donne des fulgurances. Je me situe du côté de l’amour passion. Ce qui me plaît c’est le risque, le danger, l’inquiétude, les souffrances inéluctables. Nous cherchons les émotions. Je pense que l’on aurait beaucoup de mal à trouver de grands romanciers qui ne soient pas de grands amoureux.

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