Point de vue : Mgr Claude Dagens sur le film Des hommes et des dieux

avec Mgr Claude Dagens, de l’Académie française, évêque d’Angoulême
Claude DAGENS
Avec Claude DAGENS de l’Académie française,

Mgr Claude Dagens, de l’Académie française, donne son point de vue sur le succès du film de Xavier Beauvois "Des hommes et des dieux" qui a été vu par près de 3 millions de spectateurs en France, croyants et non-croyants, et qui remporte également une audience remarquable dans plusieurs pays. Il raconte dans quelles circonstances inattendues il a lui-même rencontré les acteurs.

Comment expliquer qu'un film sur des moines assassinés, les moines de Tibhirine (en Algérie, 26-27 mars 1996), puisse remporter un tel succès ? Qui aurait dit que des millions de croyants et de non-croyants s'accorderaient à considérer ce film de Xavier Beauvois comme un chef d'oeuvre ? Qui aurait parié sur un succès comme le cinéma français en rencontre peu ? Mgr Dagens le dit d'emblée : "Il était inespéré, imprévisible qu'un tel sujet puisse attirer tant de spectateurs et retenir leur attention. Et d'ailleurs, on utilise le mot "spectateurs" mais les visages de ces moines touchent chacun de nous au plus profond, car, à travers l'écran, ils nous parlent de nous-mêmes, dans notre société que l'on dit sécularisée. Une société qui, à la fois, met à l'écart les signes religieux -quelle que soit l'appartenance- et témoigne d'une attente spirituelle. Dans ce film, ce qui frappe les spectateurs, c'est le silence, seulement ponctué du chant des psaumes".

Ainsi, silences, images, gestes religieux, parlent-ils de ce désir de Dieu qui habite nos contemporains, explique Mgr Dagens, et de cette réalité qu'est l'ouverture à Dieu ("la quête") qui fait partie de l'expérience humaine.

Mgr Claude Dagens, en compagnie d’Hélène Renard, dans la bibliothèque de l’Institut de France, avant la séance solennelle du mardi 26 octobre 2010.
© Didier Plowy

"Nous sommes dans un monde qui vit sur la peur, et notamment avec le terrorisme, et ce film, lui, est pénétré de paix. Ces hommes sont semeurs de paix. En écho à la parole de Jean-Paul II, qui est d'abord celle du Christ ressuscité : n'ayez pas peur." A nous d'apprendre à nous désarmer dans un monde où l'on utilise si facilement la violence, celle des paroles et celle des armes".

Mgr Dagens insiste sur cette force du don, de ces sept vies données, une force plus forte que toutes les violences du monde.

Puis il témoigne des circonstances dans lesquelles il a lui-même vu ce film et qu'il ne saurait oublier :

" Le 29 août 2010, à Angoulême, à la fin du festival du film francophone. L'après-midi, il était prévu que les acteurs du film viennent rejoindre quelques journalistes et moi-même, près d'une stèle érigée en 1997 aux confins d'Angoulême, par l'ancien maire Georges Chavannes, dont le frère est dominicain en Algérie et a été un compagnon très proche de Mgr Claverie, évêque d'Oran, assassiné lui aussi quelques mois après les moines, 1 août 1996. Cette stèle porte une simple inscription : "sept vies données pour Dieu et pour leurs frères en Algérie". Nous avons attendu en plein soleil... et quand ils ont débarqué de leur voiture, j'ai eu une impression extrêmement forte : ces hommes étaient liés les uns aux autres. Et le soir même, j'ai vu le film. Deux heures de silence. Et à la fin, Xavier Beauvois est monté sur la scène avec les acteurs pour un débat prévu. Quelqu'un dans la salle a proposé "pas de débat, le silence". J'ai dit à Lambert Wilson : "il existe entre vous une connivence". Il m'a répondu : "non pas une connivence, mais une communion". Et je sais qu'avec le réalisateur Xavier Beauvois, les acteurs ont passé ensemble une semaine à la Trappe de Tamiers avant de tourner le film au Maroc pour s'habituer à la vie monastique".

Un film révélateur s'il en est. Mgr Dagens invite en fin d'émission à bien regarder l'affiche... une autre présence s'y devine, celle du Christ, tel un quatrième personnage que, dans le film, seul d'ailleurs, le terroriste mentionne une fois. L'évêque d'Angoulême décrit alors le crucifix réalisé par Christian de Chergé (le supérieur) pour la chapelle du monastère de Tibhirine, que l'on distingue à peine dans le film.

A noter que Mgr Dagens développe ces propos dans sa lettre pastorale de septembre 2010, lettre qu'il avoue avoir écrite le soir, juste après la séance du film. Elle est d'ailleurs initiée par un paragraphe intitulé "La force du don au milieu des violences du monde".

Le site du diocèse d'Angoulême :
http://catholique-angouleme.cef.fr/ctaa/

Consulter la fiche de Mgr Dagens sur le site de l'Académie française, notamment pour connaître les livres qu'il a publiés :
http://www.academie-francaise.fr/immortels/index.html


On peut lire aussi l'ouvrage "Un monastère cistercien en terre d'Islam ? Notre-Dame de l'Atlas au Maroc". L'auteur Etienne d'Escrivan a effectué deux séjours dans la communauté Notre-Dame de l'Atlas (partie de Tibhirine pour Midelt au Maroc après les événements de 1996). Il a été fortement impressionné par l'intensité de la vie spirituelle et la qualité de l'échange avec la population locale musulmane qu'il a pu y observer. Et de là est née l'envie d'écrire ce livre qui, entre essai et témoignage, est une réflexion fouillée sur le sens profond et les modalités d'existence de cette communauté. Ce livre est publié aux éditions du Cerf, 2010.

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