Souvenirs de famille : Théodore Monod, de l’Académie des sciences

Évocation en compagnie de son fils Ambroise Monod
Théodore MONOD
Avec Théodore MONOD
Membre de l'Académie des sciences

Ambroise Monod, cadet des trois enfants de Théodore et Olga Monod, théologien, fondateur de la mouvance Récup’Art, évoque ici son père Théodore Monod, un encyclopédiste du XXe siècle tant les disciplines auxquelles il a travaillé sont variées mais aussi et surtout, une figure de haute spiritualité, homme l’en-haut et de l’en-avant, un moine à l’amour contrarié, en un mot, un homme d’exception.

Émission proposée par : Virginia Crespeau
Référence : sdf504
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Ambroise Monod aime à dire dans un style très « Monod » : « Oui, je suis le Fils de Théodore Monod, mais je ne suis pas responsable… »

Ambroise Monod, cadet des 3 enfants de Théodore Monod, est théologien, fondateur de la mouvance Récup’Art

« Je me sens avant tout l’héritier de la façon de voir le monde qu'avait mon père Théodore Monod; n’ayant pas les compétences pour évaluer son travail scientifique, je remarque simplement que dans la pluridisciplinarité qui le caractérise, ses pairs l’ont toujours considéré comme un spécialiste-encyclopédiste du XXe siècle qui a su réunir en sa seule personne, chose qui ne se fait plus du tout, des disciplines aussi variées que la botanique, la géologie, la zoologie, l’océanographie…"

Théodore est né dans un milieu et avec un héritage très connoté dans le protestantisme français : il est le descendant de cinq générations en ligne directe de pasteurs les plus connus du protestantisme du XIXe siècle et du XXe siècle ; son père, Wilfred Monod, a été une grande figure du protestantisme libéral après avoir inventé, d’une certaine manière, le christianisme social.

Théodore Monod et son épouse Olga


Théodore est donc né en 1902 et mort en 2000 ; il a traversé tout le siècle avec lucidité presque toujours; il est né dans un milieu piétiste où la vie spirituelle était très ritualisée, et la vie quotidienne scandée par les temps liturgiques de l’aube au coucher : " il en est resté quelque chose dans la vie des enfants de Théodore puisque nous avons aussi ma sœur, mon frère et moi, vécu avec les échos, les restes de cette vie intimement lié à la vie religieuse : le culte de famille était quotidien, et le Bénédicité était dit à chaque repas, du moins quand Théodore était avec nous car c’était un père voyageur, souvent absent".

Théodore Monod discutant avec des archéologues dans le désert du Sahara (Mauritanie, 1967)

Il n’a jamais fait d’opposition entre sa foi et la science, il a conduit sa réflexion sur ces grands domaines de façon juxtaposée sans tenter de croire que la science pouvait répondre à la foi et réciproquement. "Il a été un croyant scientifique naturaliste s’intéressant à l’inventaire de la planète ; ce qui maintenant est une pratique complètement abandonnée, on est maintenant pluridisciplinaire, on travaille en équipe avec des biologistes, des physiciens, des chimistes avec toutes sortes d'instruments sophistiqués, Théodore lui marchait à pied avec son sextant…"


Sur le chapitre de la foi, de la croyance, de la vision du monde, Théodore a toujours « nomadisé » : il n’est pas resté piétiste, il a vécu ensuite des étapes qui l’ont mené à travers le christianisme social, à travers le protestantisme libéral jusqu’à l’unitarisme, à la fin de sa vie ; il s’est proclamé apprenti-chrétien unitarien c'est-à-dire en référence aux chrétiens d’avant le Concile de Nicée en 325 où la Trinité a fait son apparition dans la théologie chrétienne.

"Mon père donc n’était pas « trinitaire » mais unitarien, cela ne l’empêchait pas d’évoquer le nom du Prophète Jésus, ni même les qualités que peuvent avoir, dans la conscience personnelle, la place de ce que l’on appelle l’Esprit ou le Saint Esprit, mais il était d’abord théiste et monothéiste. Dans la théologie unitarienne, Dieu suffit mais Jésus, au même titre que d’autres prophètes d’Israël, a joué le rôle que l’on sait mais Jésus n’est pas divinisé, c’est un passeur d’idées sur la notion de Dieu.
Le piétisme est une attitude du christianisme qui n’est pas éloignée du fondamentalisme et donc de l’interprétation littérale des choses ; l’herméneutique avait été encore mal inventée à cette époque-là, au début du XXe siècle et les protestants se rattachaient au texte principalement et à l’application d’un certain nombre de préceptes toujours à partir des textes. Puis l’environnement social, l’environnement politique, économique, a élargi les esprits : on a quitté cette notion dogmatique et « enfermante » d’une pratique qui vous assurait le salut pour se diriger vers une responsabilité de la lecture donnée à tout un chacun ; le sacerdoce universel c’est bien cela : tout un chacun est prêtre et a accès directement au texte car si l’on veut que ce texte soit vivant, il doit être vécu, traverser let accompagner nos vies et se livrer à l’interprétation de chacun".

Le Tiers-Ordre des Veilleurs

Wilfred Monod (1867-1943)

Le grand-père d'Ambroise, Wilfred Monod eut trois fils : l’un est devenu catholique, l’autre disciple de Schopenhauer, athée et nihiliste, et Théodore qui a vécu sa conscience chrétienne dans un protestantisme évolutif après avoir fondé avec son père en 1923 le Tiers Ordre protestant des Veilleurs, parce qu’au fond Théodore était un moine : sa frugalité, son appétit de solitude, son silence habituel, et sa vie intérieure ressemblaient grandement à la pratique du Tiers-Ordre des Veilleurs qui existe encore.

Théodore a donc vécu sa vie spirituelle sur le mode de l’évolution, de la trajectoire et cela a tout à fait rejoint le concept de chercheur ; Théodore a dès sa petite enfance opté pour les sciences naturelles, il est devenu naturaliste naturellement…

Il a toujours était chercheur, beaucoup plus passionné par l’appétit de trouver la solution des énigmes que par le résultat et les applications. Il était toujours en recherche : il est parti dans de grandes traversées sahariennes pour retrouver une météorite, il a entrepris ses derniers voyages à quatre-vingt quatorze ou quinze ans pour retrouver la petite fleur que l’on appelle la monodiella qu’il avait déjà trouvée en 1940, espérant bien, d'une certaine manière, ne pas la retrouver…

Teilhard de Chardin disait de lui « Vous êtes l’homme de l’en-haut, et de l’en-avant »

"Théodore a eu plus de déférence vis-à-vis de ses ascendants que de sa descendance : il nous a peu connus, nous ses enfants. A la mort de ma mère, il s’est aperçu que nous étions comestibles, ce qui est un éloge de sa part, cela voulait dire praticables, fréquentables, pas inintéressants…Mon père a toujours été trop égocentré sur cet appétit de chercher et sur sa passion pour les sciences naturelles et la compréhension du monde qui nous entoure : cela l’a beaucoup isolé. La place d’un père, dans la vie de ses enfants, n’est pas nécessairement liée aux discours et à la parole ; je crois que la présence en elle-même est porteuse de sens et d’éducation ; c’est ma mère qui faisait l’intermédiaire entre mon père absent et les trois enfants. Elle nous disait « Ton père te fait dire… ». Dans l’enfance, comme le dit mon frère, nous avons été nourris, logés… C'est-à-dire qu’on a eu l’enfance la plus heureuse qui soit avec la présence d’une mère admirable, et dans une liberté totale. Nous étions au Sénégal, dans les années 38 à 55, dans un climat, une situation vraiment très privilégiés, mais mon père était toujours en voyage"…

Un rythme de vie très strict

"Même quand il était présent, il était encore absent d’une certaine manière ; il avait un rituel de vie extrêmement stricte : le matin il quittait la maison à sept heures et demi, après avoir réveillé les enfants qui devaient aller à l’école avec ces mots « Show a leg » c'est-à-dire « Montrez le pied » une expression des sous-mariniers britanniques pour réveiller une chambrée…
Il revenait à midi et demi, pour le déjeuner qui était rapide, non solennel mais suffisant, à 13h il faisait la lecture à ma mère d’un livre d’histoire du Protestantisme ou de la Réforme en prenant le café, et à 13h30 il quittait la maison pour son bureau de l’Institut Français d’Afrique Noire qu’il dirigeait à Dakar.
Il rentrait à 19h30, jusqu’à 20h c’était le repas du soir, à 20h la table était débarrassée pour qu’il puisse travailler, à 22h c’était le culte de famille et extinction des feux. Et cela se répétait rituellement tous les jours, et lui ne perdait jamais de temps dans le déroulement d’une journée car il lisait en marchant avec un sens aigu de l’évitement des obstacles ; il lisait et écrivait tout le temps quand il était à son bureau ; il avait une capacité de travail très impressionnante".

"A la disparition de ma mère, nous ses trois les enfants nous sommes beaucoup rapprochés autour de Théodore. J’ai découvert sur le tard, l’un des secrets de la vie de mon père : dans les années 1920, Théodore entre au Muséum d’Histoire Naturelle comme assistant, il a dix-huit ans, il sort d’un drame sentimental extrêmement violent si on se réfère à ses poèmes et à ses écrits rédigés à cette occasion-là ; il lui avait été interdit de revoir la jeune-fille qu’il appréciait, qu’il fréquentait, qu’il aurait voulu aimer ; cela lui a été formellement défendu par la famille de cette jeune-fille, il en ressentit une douleur et une détresse telles qu’après avoir rencontré et vécu sa vie avec ma mère, à la mort de celle-ci -quand il avait donc quatre-vingt dix ans-, il s’est mis en recherche de cette énigme, pour savoir quelles en avaient été les raisons, ce qui avait été au départ de cet interdit-là qui l’a fait souffrir et marqué tout au long de sa vie…"

Création d’Ambroise Monod, Récup’Art

"La pensée de Théodore que je partage et souhaite faire encore mieux connaître, c’est avant tout sa conception du monde : à savoir que l’essentiel est toujours ailleurs… C'est-à-dire que dans tous les marasmes de la vie, dans tous les moments les plus difficiles et graves, ne nous laissons pas enliser et regardons ailleurs, c'est-à-dire avec une certaine distanciation par rapport au drame présent et aux difficultés de vivre.
La deuxième chose qu’il m’importe aussi de communiquer c’est l’évocation de ma mère: je crois qu’on a toujours tort d’évoquer les grands hommes ou prétendus tels, sans signaler la présence auprès d’eux de la personne qui aura contribué avec abnégation, silence et amour, à faire d’eux ce qu’ils sont devenus. Cela ne se dit jamais."

Théodore : un esprit de résistance, dès l’enfance il milite pour la défense animale : contre les plumes d’aigrette sur les chapeaux des dames…

Pendant la guerre, il prend des positions courageuses qui ne sont pas sans risque, et sur un ton très Théodore Monod, très distancé, à l’égard des autorités.

En témoigne le petit texte qu’il envoie aux autorités de Vichy quand celles-ci, à Dakar, lui-même étant Directeur d’une Institution scientifique, lui demandent de signaler les Juifs de l’établissement. Il répond :
« Je n’ai pas l’honneur d’appartenir au même peuple que Jésus-Christ, Saint Paul, Saint Jean, Maïmonide, Spinoza, Mendelssohn, Einstein et Bergson. Mais ma femme, plus heureuse, a ce privilège. Puis-je donc vous prier d’avoir l’obligeance de me faire tenir les imprimés nécessaires à son immatriculation sur votre nouveau registre, je vous en remercie d’avance et vous adresse mon meilleur souvenir. » Évidemment, les formulaires ne sont jamais arrivés, il faut juste savoir que l’épouse de Théodore Monod, Olga Picova, a perdu toute sa famille dans les camps nazis.

Théodore Monod fut directeur de l'Institut français d'Afrique noire, professeur au Muséum national d'Histoire naturelle, membre de l'Académie des sciences d'outre-mer en 1949, de l'Académie de marine en 1957, et membre de l'Académie des sciences en 1963.

En savoir plus

Mauricette Berne, Ambroise Monod, Théodore Monod, Éditions du Chêne 2010

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