"L’oeil" de Monet par le Pr Yves Pouliquen, de l’Académie française

Yves POULIQUEN
Avec Yves POULIQUEN de l’Académie française,

Yves Pouliquen, de l’Académie française, professeur d’ophtalmologie, est un grand connaisseur de l’œuvre de Monet car il est allé l’admirer dans tous les musées du monde. Ce besoin de le découvrir, en France et ailleurs, est né d’une passion pour la peinture et du regard compatissant d’un éminent professionnel sur la cécité d’un homme talentueux. Écoutez quelques extraits de textes et de confidences...

Nous avions déjà entraperçu l'académicien au détour des régulières expositions consacrées à Monet dans la capitale française et ailleurs. Nous connaissions en outre sa passion pour ce peintre au point d'avoir co-rédigé catalogues et ouvrages sur lui. Le regard d'Yves Pouliquen, professeur d'ophtalmologie, membre de l'Académie française, sur "l'œil" de Monet nous est donc apparu, au moment des deux grandes expositions qui lui sont consacrées à Paris en cet automne 2010, d'autant plus intéressant.

D'abord par sa capacité à comprendre les difficultés de vision de Monet mais aussi comme témoignage au moment où la reconnaissance internationale de l'œuvre du peintre est consacrée à Paris. Nous pouvons voir des toiles rares au musée du Grand Palais (jusqu'au 24 janvier 2011), des collections très importantes à Marmottan-Monet (qui déroule toute l'année des thématiques sur le peintre) tandis que les Nymphéas du musée de l'Orangerie restent une étape à ne pas manquer.

Yves Pouliquen a exercé sa profession médicale en France et à l'étranger. Il a donc beaucoup voyagé. A chacune de ses étapes, il n'a jamais manqué les œuvres de Monet. Partout où il séjournait, il allait au musée. Il apparaît que la notoriété du peintre a attiré les acheteurs du monde entier et que nombre de tableaux se trouvent actuellement hors de France. NDLR : Sylvie Patin dans une émission précédente de la rédaction «Reconnaissance internationale pour Monet au Grand Palais à Paris» ne manquait pas de nous parler du fameux Terrasse à Saint Adresse qui se trouve actuellement au MOMA de New York. «Un chef d'œuvre de jeunesse que je m'étais empressée d'aller admirer».

Le regard de l'esthète et du passionné

- «J'ai toujours l'impression de redécouvrir Monet. Où que je me trouve. Je n'ai jamais manqué la visite d'un musée où se trouvait un Monet.
»

- «Il a toujours répondu à un type de regard qui était proche du mien. Oui, c'est une identité de regard. Dès que je l'ai découvert j'ai été fasciné par sa manière de voir les choses et la vie. A 7 ans je voulais être peintre et je n'ai jamais cessé de peindre moi-même. Peut-être l'un va-t-il avec l'autre.»

Qu'y a t-il dans le talent de Monet ?

- «Ce qui me fascine : la manière dont il est capable de décrypter la composition colorée et formelle d'une situation visuelle et de la transformer. C'est tout de même extravagant ! Les moyens sont spontanés. La mise en place des tâches de couleurs est immédiate, les choses prennent forme par une exactitude comme s'il avait déjà presque une analyse médicale de ce qui se passe dans la vision !»

L'œuvre préférée

Claude Monet, Les Roses, 1925-26, huile sur toile, Paris, Musée Marmottan
Il s’agit d’un des derniers tableaux de Claude Monet. Celui qu’il réalise pour son plaisir. Car avec cette œuvre et depuis longtemps, il n’a plus rien à prouver. Il est un peintre institutionnalisé : en 1922, il signe sa donation à l’Etat des Grandes Décorations des Nymphéas, grâce à l’entremise de Georges Clemenceau. Par ailleurs, depuis des décennies, les autres artistes ont "digéré" ses trouvailles esthétiques pour amener de nouvelles évolutions (en 1926, Picasso n’est déjà plus cubiste et l’art abstrait est déjà vieux d’une quinzaine d’années). Si Monet crée encore c’est avant tout parce que c’est son métier, ou plutôt, la passion de toute sa vie. Il peint pour son plaisir. Il peint pour lui. Il est libre.

- «J'aime m'attarder sur Les Roses de Monet au musée Marmottan- Monet. J'aime rester là un quart d'heure à saisir non seulement l'éclat des roses mais aussi l'éclat du soleil derrière.»

Le regard de l'ophtalmologiste

La période qui va de 1914 à 1920 environ est assez dramatique pour Monet, le Pr Yves Pouliquen nous explique qu'une cataracte dense s'est installée et lui a fait perdre progressivement la vision d'un œil. Cela l'a conduit à une réduction considérable de la vue, le menant à trois dixième d'acuité visuelle seulement. Les tonalités des tableaux qu'il réalisait à cette époque étaient étonnamment excessives aussi bien dans le jaune, dans le brun que dans le bleu. «Il forçait les choses. Il classait ses tubes dans un certain ordre pour ne pas se tromper de couleurs. Cela a été pour lui un drame. Lorsqu'il a été opéré de la cataracte, l'opération lui a redonné la capacité de voir les couleurs. Nous pouvons percevoir par la suite le retour des couleurs notamment dans ce fameux tableau que j'évoquais des Roses. A l'époque on enlevait le pansement au bout de quelques jours, le malade restant au lit sans bouger. Lorsqu'on a enlevé le pansement et qu'on a mis une loupe devant l'œil de Monet, ce dernier s'est écrié : Dieu que tu es laid ! Les Nymphéas datent de cette période. Ils traduisent cette évasion dans une autre dimension alors qu'il n'y a plus de perspective. C'est l'œuvre ultime de Monet.»

Le tableau le plus émouvant

Camille Monet sur son lit de mort, 1879, musée d’Orsay
Claude Monet peint en 1879 sa femme morte à 32 ans, Camille Monet sur son lit de mort, non point en portraitiste distant, mais en mari éploré penché sur elle. Le lendemain, racontera-t-il à Clemenceau, il se reproche d’avoir agi en artiste se laissant séduire par le jeu de la lumière et des couleurs, d’avoir traité ce cadavre cher en objet neutre.

- «La peinture qui m'a ému le plus est celle où il peint sa femme sur son lit de mort. C'est la capture du temps ; le dernier temps de cette femme morte. Monet confiera à Clémenceau : «Se trouvant au chevet d'une morte qui m'avait été toujours très chère, je me surpris, les yeux fixés sur la tempe tragique, dans l'art de chercher machinalement la succession, l'appropriation des dégradations de coloris que la mort venait d'imposer à l'immobile visage. Des tons de bleu, de jaune, de gris, et que sais-je... Voilà où j'en étais venu. Bien naturel, le désir de reproduire l'image de celle qui allait nous quitter pour toujours. Mais avant même que s'offrit l'idée de fixer les traits auxquels j'étais si profondément attaché, voilà que l'automatisme organique frémit au choc de la douleur, que les réflexes m'engagent en dépit de moi-même dans une opération d'inconscience où se reprend le cours quotidien de ma vie.»»

La peinture reste pour Monet une solution à l'angoisse et peut-être aussi un moyen de fixer le temps. Le lecteur et internaute restera, lui, surpris par l'inattendu talent de la plume et de l'émotion qui se dégage des mots de Monet... La peinture est-elle gage de délicatesse littéraire ?

En savoir plus :

- Yves Pouliquen est co-auteur de livres sur Monet :

- Yves Pouliquen à l'Académie française

Nos émissions avec Yves Pouliquen :
-Félix Vicq d’Azyr, médecin de Marie-Antoinette
-Yves Pouliquen, de l’Académie française : le désir de français en Chine

- Nos émissions sur Monet et sa demeure à Giverny :

- Reconnaissance internationale pour Monet au Grand Palais à Paris avec Sylvie Patin, correspondant de l'Académie des beaux-arts
- Point de vue : Jacques Taddéi, de l’Académie des beaux-arts, la rentrée 2010 sous l’oeil de Monet !
- Claude Monet à Giverny, la demeure d’un impressionniste de génie avec Hugues Gall, de l'Académie des beaux-arts
- Visite au musée Marmottan Monet
- Monet, l’oeil impressionniste, introduction à l’exposition par Jacques Taddei
- Les estampes japonaises de la collection Claude Monet
- Claude Monet : impressions, réflexions et expressions. 2011, une "année Monet"
- Les trésors intimes de Claude Monet : toiles et dessins conservées par le peintre au fil du temps

- Monet au Grand Palais

- Claude Monet : impressions, réflexions et expressions. 2011, une "année Monet"

Galeries nationales du Grand Palais, square Jean-Perrin, Paris 8e.
Tél. : 01-44-13-17-17.
Jusqu'au 24 janvier 2011, de 10 heures à 22 heures ; mardi jusqu'à 14 heures. Pendant les vacances (du 23 octobre au 7 novembre et du 18 décembre au 2 janvier), de 9 heures à 23 heures, 12 €. Afin d'éviter trop d'attente, il sera prudent d'acheter son billet à l'avance, sur le site de la Réunion des musées nationaux (Rmn.fr) - qui renvoie à son site exclusivement consacré à l'exposition : http://www.monet2010.com.

- Autres expositions

Un billet jumelé (18 €) permet de se rendre au Musée de l'Orangerie, pour y voir ou y revoir les Nymphéas. Jardin des Tuileries, Paris 1er. Tél. : 01-44-77-80-07. Du mercredi au lundi, de 9 heures à 18 heures.

À partir du 7 octobre, le Musée Marmottan-Monet présentera l'ensemble de sa collection Claude Monet. "Claude Monet : son musée", 2, rue Louis-Boilly, Paris 16e. Tél. : 01-44-96-50-33. Du mardi au dimanche, de 11 heures à 18 heures, le mardi jusqu'à 21 heures. Entrée : 9 €. Jusqu'au 20 février 2011.

- Parmi les rééditions de documents et souvenirs contemporains de l'artiste, l'un des plus instructifs et émouvants est Georges Clemenceau à son ami Claude Monet, correspondance de 153 lettres (RMN, 198 p., 48 ill., 30 €). A lire aussi, les essais écrits entre 1909 et 1927 par le critique Louis Gillet (Trois variations sur Claude Monet, Klincksieck, 110 p., 13 €) et le récit de Walter Pach, Une visite à Claude Monet. Giverny, novembre 1907 (L'Echoppe, 24 p., 4,20 €). Dans le genre de la fiction historique, Pierre Wat imagine la rencontre du peintre âgé et d'un jeune journaliste (Les Nymphéas, la nuit, Nouvelles éditions Scala, 160 p., 20 ill., 18 €).


- Sans oublier Clemenceau, de l'Académie française, grand ami de Monet :

- La demeure de Clemenceau
- Georges Clemenceau : souvenirs de famille

Consulter la fiche sur le site de l'Académie

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