Mémoires de Maurice Druon, de l’Académie française : C’était ma guerre, ma France et ma douleur

Une chronique d’Axel Maugey
Avec Axel Maugey
journaliste

La disparition de Maurice Druon en 2009 donne une connotation toute particulière à la sortie du second tome de ses mémoires, C’était ma guerre, ma France et ma douleur. L’auteur des Rois Maudits, figure de la Résistance, gaulliste de la première heure, y évoque une jeunesse forcément troublée et exaltée par les années sombres, entre aventures et rencontres. Axel Maugey a lu et commenté pour nous ce morceau de littérature et d’histoire.

Émission proposée par : Axel Maugey
Référence : pag808
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Suite profane d’une tradition sacrée, les mémoires sont le vêtement qui nous habillera sur notre lit de mort, le vernis de notre sarcophage, le témoignage est l’acte terminal de notre mission, sa perfection au sens premier du terme. »

Telle est la définition que donne Maurice Druon de ce genre littéraire si particulier, à mi-chemin entre histoire et littérature, entre épitaphe et témoignage, à la fois portrait et autoportrait. Le premier tome de ses mémoires, L’Aurore vient du fond du ciel, était paru de son vivant, en 2006 ; le second, C’était ma guerre, ma France et ma douleur, est posthume par la force des choses.

Maurice Druon

« Maurice Druon nous y fait revivre les années 1939-1945, années décisives pour ce jeune homme confronté à la débâcle et l’exode. Lui, l’amoureux de poésie, écrit : « La poésie n’avait plus à mes yeux la même importance ; un autre ordre de valeur s’était établi en moi ».
Il n’en lâche pas pour autant sa plume, puisqu’avant de rejoindre le général de Gaulle, entre deux affectations, il en profite pour écrire Mégarée, ce que certains critiques considèrent comme la première œuvre théâtrale de la Résistance.

Joseph Kessel

Druon s’attarde sur la relation quasi-filiale qui le liait à « l’oncle Jef », Joseph Kessel, avec qui il écrira les paroles françaises du Chant des Partisans et partagera les fauteuils de l’Académie française : « J’avais en Jef un guide, un maître qui aurait pu être mon père. Il avait en moi une manière de fils qui l’admirait en tout et prenait la même voie dans le même art. Je lui procurais le sentiment d’avoir une descendance ».

Druon est aussi pénétré de la façon la plus vivace qui soit, à travers l’épopée de la Résistance, de l’amour de la patrie : « D’une telle place, dans un tel moment », écrit-il, « le mot patrie prend un sens qu’il n’a jamais eu mais qu’il ne perdra plus. Ce n’est plus un mythe, une valeur, une histoire, c’est une réalité visible et vivante, un morceau de la surface terrestre qui vous appartient, auquel on appartient, et dont se séparer est un arrachement quasi-charnel. »

Le manuscrit original du Chant des partisans, propriété de l’État, est conservé au musée de la Légion d’honneur.

Le haut style n’empêche pas le récit de fourmiller d’anecdotes savoureuses ; Druon raconte comment la marquise Jeannette de Brissac, à qui l’on apprenait que son cousin le prince d’Arenberg, officier allemand, voulait lui présenter ses hommages, eut cette éclatante réponse : « Vous voudrez dire à mon cousin d’Arenberg venu d’Allemagne que je ne puis le recevoir car pour le moment je suis trop… occupée ».

Gaulliste pur et dur, Druon ne manque pas d’esquisser un portrait impressionnant du général de Gaulle : « Il avançait d’un pas impérial sur un fil de fer », décrit-il. Présenté à l’auteur, le général lui déclare : « Vous êtes de ces bons Français qui nous dictent notre devoir ». En 1966, lors de l’audience que Charles De Gaulle donne après l’élection de Maurice Druon à l’Académie française, arrive un moment où le nouvel académicien évoque

le temps de Londres ; le général réagit alors : « Oui, je me rappelle, vous étiez de ces bons Français qui nous dictaient notre devoir » ; la même formule, les mêmes mots que vingt-trois ans plus tôt dans la capitale londonienne. Et Druon de conclure : « Cet homme-là n’avait pas le cerveau fait comme celui de tout le monde ».

Très marqué par l’entreprise de déshumanisation et l’industrialisation de la haine qui ont constitué la face la plus noire de ce conflit, Druon ne fait pas de compromis sur la lutte farouche et sans relâche à y opposer : « Chaque homme porte un monstre au fond de lui : il ne faut pas lui donner d’avoine ». Et de conclure : « Il y a probablement une frontière infranchissable entre ceux qui ont connu cette expérience et le reste de l’humanité. C’est pour tenter d’ouvrir quelques passages dans la frontière que ce livre fut écrit. »

En savoir plus :

Maurice Druon s'engage dans la Résistance et rejoint Londres en janvier 1943 ; il a alors 25 ans. Attaché au programme Honneur et patrie de la BBC, il y écrit, avec son oncle Joseph Kessel, le Chant des Partisans. Après la guerre il devient auteur à succès avec Les grandes familles et surtout la saga des Rois Maudits. Élu à l'Académie française en 1966, il en fut le Secrétaire perpétuel de 1985 à 1999. Également ministre des Affaires culturelles de 1973 à 1974, il est l'auteur du roman pour enfants Tistou et les pouces verts mais aussi de pièces de théâtre et d'essais.

Fiche de Maurice Druon sur le site de l'Académie française

Fiche de Joseph Kessel

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