L’énigme Schubert : une mort aux causes incertaines...

Avec Jean-Louis Michaux, membre de l’Académie de médecine
Avec Julie DEVAUX
journaliste

La mort du compositeur Franz Schubert est toujours restée énigmatique. Est-il mort de la syphilis ou du typhus comme certains le prétendent ou bien empoisonné ? Jean-Louis Michaux, médecin, professeur émérite de médecine interne à l’Université catholique de Louvain, membre de l’Académie de médecine, auteur de L’énigme Schubert : le mal qui ne voulait pas dire son nom s’est penché sur le cas médical du compositeur. Hypothèses sur une mort mystérieuse.

Émission proposée par : Julie DEVAUX
Référence : pag754
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Schubert fut un homme méconnu et souvent mal apprécié, ce qui fut de même pour sa musique. Jean-Louis Michaux raconte comment il s’est intéressé à ce compositeur disparu dans des conditions étranges. « L’intérêt était bien sûr médical car il était atteint d’une maladie vénérienne que l’on cachait à l’époque parce que c’était une maladie honteuse et d’autre part, la raison de son décès est toujours restée énigmatique. Il est mort très jeune. Il avait à peine 31 ans. J’aime Schubert et je voulais l’approcher en tant qu’homme. Je me suis d’ailleurs toujours demandé quelle était l’influence des problèmes de vie sur la créativité des compositeurs. »

« Il faut savoir que pour Schubert, nous n’avions que très peu de documents médicaux à disposition, ce qui n’était pas le cas d’autres musiciens. C’était par ailleurs lié au fait que la syphilis qu’il a contractée à l’âge de 24 ans était une maladie cachée à l’époque parce qu’elle était punissable. Et l’homosexualité dans les pays germaniques comme en Russie et en Angleterre était une situation punissable d’enfermement. Donc on se cachait nécessairement pour ne pas être condamné. »

« Ce qui frappe chez Schubert, c’est sa créativité. Il a écrit mille œuvres en très peu de temps puisqu’il est mort à l’âge de 31 ans. Il avait une composition très diversifiée. »
Il a en effet écrit six cent lieders, 9 symphonies, un nombre insoupçonnable de sonates pour piano ainsi que de nombreuses messes et de la musique de chambre. Il avait donc une diversification très large dans sa créativité. Il ne fut cependant pas très doué pour l’opéra puisque bien qu’il en ait écrit de très nombreux, ils n’ont pratiquement jamais été joués, même à l’heure actuelle. Son succès ne fut donc pas au même titre que Mozart. Ce n’était pas non plus un homme de théâtre car il était bien trop introverti. Il n’aimait pas le contact avec le monde extérieur. Il aimait bien évidemment l’amitié, le contact avec ses proches mais en aucun cas se montrer.
« La seule fois où ses œuvres ont été jouées de son vivant, il a refusé de venir sur la scène. »

Franz Schubert a publié très peu de lettres contrairement à d’autres musiciens, comme Beethoven qui avait écrit plus de mille cinq cent lettres. On n’en dénombre qu’une dizaine.

Partition autographe de Schubert

« Mes créations existent par la connaissance de la musique et par celle de ma douleur. »
Cette douleur que l’on sent peser sur le compositeur : douleur parentale avec la perte soudaine de sa mère emportée par la fièvre typhoïde, douleur amoureuse, douleur par la maladie… Il faut savoir que Schubert est venu au monde après sept décès (il fut le douzième enfant) et deux décès d’enfants surviendront par la suite. Sur les quatorze enfants de la famille Schubert, seuls cinq survivront. Cela montrait donc déjà combien la mort était présente chez Franz Schubert. Il a également beaucoup souffert du poids de Beethoven sur sa composition. Il était à la fois admiratif mais également effrayé de ne jamais atteindre son génie. Voici ce qu’il dit lorsqu’il se confie à son mentor Antonio Salieri :
« Croyez-vous réellement que quelque chose puisse sortir de moi ? (…) Dans le calme, en secret, j’espère bien pouvoir encore faire quelque chose moi-même, mais que peut-on encore faire après Beethoven ? »
Cette épine qui ne le quittera jamais. Il y a en effet dans la vie de Schubert une période vivante de Beethoven et une courte période qui a suivi son décès en mars 1827, soit dix-huit mois avant la mort de Schubert. Ce qui est tout à fait remarquable, c’est que sa créativité s’est révélée durant cette période. C’est donc bien la preuve que quand il disait « Que peut-on écrire après Beethoven ? », il l’a fortement prouvé puisqu’il est devenu un échelon important entre le XVIIIe siècle qui le précédait et le XIXe siècle dont il a marqué indiscutablement une pierre évolutive vers le romantisme. Il est ainsi devenu un personnage important dans le monde de la musique. Schubert repose aujourd’hui à côté de la tombe de Beethoven au cimetière central de Vienne, ce qui fut l’une de ses dernières volontés.

Schubert semblait très torturé. Il avait peu d’argent pour écrire ses compositions et demandait sans cesse de l’aide pécuniaire à ses proches. Il est rejeté par son père après son renvoi du Konvikt et est très solitaire même s’il est très proche de son ami Josef von Spaun, rencontré au pensionnat. « C’était un homme qui était suffisamment indépendant pour vivre de lui-même. Il est devenu un SDF, quelqu’un qui n’avait plus d’attache. C’était dans sa conception d’être et de vivre. Il a essayé pendant quelques mois d’être un instituteur de première année et cela s’est très mal déroulé. Il ne se sentait pas bien et avait des attitudes répréhensibles. Il se montrait très mal à l’aise dans ce métier. Il n’arrivait pas à suivre la voie familiale que le père traçait pour ses enfants, qui étaient tous instituteurs. Il vivait parfois aux crochets d’amis qui avaient d’autres ressources que les siennes et d’autre part, il pouvait se passer d’un luxe qui ne lui était absolument pas nécessaire. »

Pourtant, il sera le plus grand compositeur des pièces à quatre mains, symbole de l’amitié puisque les quatre mains se frôlent sur un seul et même piano. Ce qui est un peu contradictoire avec son aspect solitaire. Ses pièces à quatre mains ont été en faite écrites pour ses élèves. Voici ce qu’en dit le pianiste français Frank Braley : « Il ne faut pas seulement écouter et soutenir l’autre, il faut parler de la même manière, savoir s’effacer, aimer marcher dans les pas de l’autre, entrer dans sa peau. » Ses œuvres à quatre mains sont donc splendides parce qu’il les a créées pour traduire son souhait d’enseigner. Il aimait transférer son savoir à ses élèves, même s’il a très peu enseigné.

Ses deux années en tant qu’instituteur l’ont beaucoup occupé. Et pourtant, c’est durant cette période qu’il composa le plus, notamment ses Lieders qu’il écrivait plusieurs fois par jour. Il a donc eu une grande ouverture à la créativité durant cette période tout comme lors des dix-huit mois qui ont précédé sa mort. Par exemple, ses trois dernières Sonates pour piano ont été composées en moins de vingt jours, ce qui signifie deux heures et demie de musique composées en trois semaines à peine. C’est également le cas pour sa dernière messe. Il avait donc une puissance de créativité remarquable.

Franz Schubert n’a pas eu d’amours très engageantes. Il aurait « choisi la musique comme amante puisqu’elle comblait ses attentes, épanouissait sa personnalité, s’offrait à ses sens et lui donnait la joie de créer et de se perpétuer. »

Schubert a contracté la syphilis courant 1822. Historiquement, il l’aurait contractée lorsqu’il avait été envoyé comme précepteur musical de jeunes comtesses en 1818, mais « c’est peu probable puisqu’il n’aurait pu rester quatre ans sans aucun problème de santé et le moindre traitement. D’autant plus qu’il ne serait pas resté sans soin avec les connaissances qu’il côtoyait. Le traitement qu’il a subi a très certainement été un moment difficile de sa vie car on faisait subir aux patients des traitements à base de mercure que l’on administrait par toutes les voies possibles. C’était un traitement héroïque. Schubert s’est d’ailleurs retrouvé sans cheveux suite au traitement. Quant on sait les lésions que le mercure provoque au niveau du tube digestif, entraîne des modifications telles de l’organisme qu’il est très vraisemblable que le follicule pileux doit être altéré et faire tomber les cheveux. C’était donc des traitements très éprouvants qui maintenaient le malade dans une hospitalisation difficile, puis à domicile avec des régimes très contraignants de telle sorte qu’ils étaient absents de la vie sociale pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois, ce qui a été le cas de Schubert. Il s’est alors rendu compte que c’était une maladie grave et que cela pouvait modifier sa vie. Cela l’a ainsi conduit à maintenir le cap vers la créativité, ce qui ne fut pas facile puisqu’il a eu des périodes de malaises. Aucun des médecins qui l’ont traité n’ont relaté l’évolution de sa maladie et donc il y a très peu de documents médicaux sur lui. Et contrairement à Beethoven, il n’y a pas eu d’autopsie après la mort de Franz Schubert. »

Tombes de Beethoven (à gauche), de Mozart (au centre) et de Schubert (à droite), au Zentralfriedhof de Vienne.

À partir de 1824, Schubert semble s’engouffrer dans un tourbillon d’idées de plus en plus noires. Il dit dans l’une de ses lettres : « Je m’éprouve comme le plus malheureux et le plus misérable des hommes de cette terre. Imagine un homme dont la santé ne pourra jamais être bonne et qui, par désespoir, fait les choses plutôt pires que meilleures. Imagine un homme dont les plus grandes espérances sont réduites à rien, auquel le bonheur de l’amour et de l’amitié n’offre plus rien que la plus grande douleur, dont l’enthousiasme pour le Beau menace de disparaître, et demande-toi si ce n’est pas là le plus misérable et le plus malheureux. Meine Ruhe ist hin, mein Herz ist schwer, ich find sie nimmer und nimmer mehr [Mon repos s'en est allé, mon cœur est lourd, je ne les retrouve plus et ne les retrouverai jamais], c’est ce que je peux bien chanter maintenant chaque jour, parce que chaque soir quand je m’endors, j’espère bien ne plus me réveiller, et chaque matin m’apporte seulement l’affliction de la veille. »
Schubert rentre alors dans une des périodes les plus difficiles de sa vie. L’ensemble de son existence fut d’ailleurs marquée par la douleur : l’isolement, la mort de sa mère, sa maladie, son activité d’instituteur… Tout cela a été à l’encontre de ce qu'il espérait.

Ce vendredi 31 octobre de l’année 1828, Franz Schubert aurait été intoxiqué après avoir consommé du poisson dans une auberge. Il vivait depuis quelques mois chez son frère Ferdinand et rien ne décelait une quelconque inquiétude sur sa maladie. Puis brutalement arrive cet évènement… S’agit-il du typhus ou des suites de sa maladie ? Aurait-il été empoisonné ? Écoutez notre émission pour en connaître le dénouement !

En savoir plus :

Franz Schubert est né le 31 janvier 1797 à Lichtental, près de Vienne, et est mort le 19 novembre 1828 à Vienne. Maître incontesté du lied, il sera l’un des plus grands compositeurs de la période romantique. Douzième enfant d’une fratrie de quatorze, il composera plus de mille œuvres.

Extraits musicaux écoutés lors de l'émission :

- Ave Maria Ellens dritter Gesang op. 52, D.839
- Impromptu op.90, D899 n° 3 en Sol bémol Majeur
- Trio en mi bémol majeur pour piano et cordes n° 2, D. 929 (op. 100), deuxième mouvement

Notre invité : Jean-Louis Michaux, médecin et écrivain de renom, a publié plusieurs livres sur la vie de musiciens avec son regard de médecin : « Le cas Beethoven, Le génie et le malade » (1999, éd. Racine), « Solitude Bartok » (2003, éd. L'Âge d'homme) et « L’Autopsie de Mozart » (2006, éd. L'Âge d'homme).

À écouter aussi : Jean Bernard : anecdotes de son élève et confrère Jean-Louis Michaux

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