Les Académiciens racontent l’Histoire : Henri IV (1/2)

Le « bon roi » vu par André Maurois, de l’Académie française et Jules Michelet, de l’Académie des sciences morales et politiques
Jules MICHELET
Avec Jules MICHELET
Membre de l'Académie des sciences morales et politiques

Pour présenter Henri IV, nous avons choisi quatre Académiciens célèbres : Jules Michelet, André Maurois, Chateaubriand, Victor Duruy. Quatre styles, quatre points de vue différents pour évoquer l’oeuvre et la vie du « bon roi Henri », assassiné en mai 1610, il y a tout juste 400 ans. Première émission d’une nouvelle série sur l’Histoire, proposée par Canal Académie. Après Jules Michelet et André Maurois que vous pouvez écouter ici, le second volet proposera les textes de Chateaubriand et Victor Duruy.

Canal Académie se propose de cerner, par des extraits de textes d'Académiciens célèbres, le roi et l'homme qui a régné durant 21 ans sur la France en lui donnant un nouvel élan : Henri IV. Voici, pour commencer, les points de vue d'André Maurois et de Jules Michelet.

HENRI IV RACONTE PAR ANDRÉ MAUROIS
de l'Académie française

Un extrait d'Histoire de la France, 1957

André Maurois, peint par Philip Alexius de László, 1934

André Maurois narre les épisodes capitaux que sont la conquête du royaume par le bon roi, ses déboires face à la Ligue puis sa conversion au catholicisme le 25 juillet 1593, ainsi que ses efforts pour rétablir la paix intérieure au royaume avec la mise en place de l’Édit de Nantes. Il insiste également sur la politique habile et efficace de Sully et sur la fin d’Henri IV avec la question de sa descendance ; mais aussi sur son mariage, en 1600, avec Marie de Médicis, fille « massive et plantureuse » et « nièce de ce créancier », contracté dans le but « d’éteindre ses dettes envers le grand-duc de Toscane », aux dires de Maurois. Et enfin, bien sûr, son assassinat par Ravaillac, le 14 mai 1610.

Voici quelques extraits du texte qu’André Maurois consacre à Henri IV (dont l’intégralité figure dans le document attaché à la fin de cet article) :

- Roi protestant d’un pays catholique, Henri IV avait à jouer une partie difficile. Pourtant il avait dans son jeu des atouts, dont le premier était sa personne, si bien faite pour plaire aux Français. Ceux-ci lui savaient gré de dire : « Nous ne sommes pas seulement nés pour nous, mais servir surtout la patrie. » Il voulait être le roi du pays entier, et non d’un parti : « Ceux qui suivent tout droit leur conscience sont de ma religion, et moi je suis de celle de tous ceux-là qui sont braves et bons. » Il pensait que la douceur et la clémence sont les premières vertus d’un prince Tous souhaitaient l’ordre ; tous attendaient un chef énergique et clément. Or ce chef existait, et il était le roi. Tout ce que l’on entendait de lui enchantait. Expert en abjuration, il s’était fait une sorte de croyance très large et en même temps sincère…

- Sully avait plus que du génie ; il avait du bon sens, de l’honnêteté et une grande puissance de travail… Sa brutalité même le rendait précieux à Henri IV

Maximilien de Béthune, duc de Sully, baron de Rosny, vers 1630

Avec le concours des notables, beaucoup de dureté, beaucoup de ménagements, de conversions, de répudiations de dettes, Sully parvint, non seulement à rétablir un équilibre, mais à déposer à la Bastille un trésor de treize millions, et à augmenter sa chère artillerie.

« Le labourage et le pastourage, voilà les deux mamelles de la France, les vraies mines et trésors du Pérou. » La phrase est de Sully, qui croyait la terre seule vraie forme de richesse et ceux qui la travaillaient, la seule pépinière de l’armée. Il fit des merveilles pour réparer les ruines de la guerre. Sully refit les routes de France, les borda d’ormes, répara les ponts, acheva à Paris le Pont-Neuf (1604) commencé sous Henri III, esquissa le réseau des canaux, rétablit la sécurité des campagnes en désarmant les partisans, déclara insaisissables le bétail et les outils agraires, créa des haras, réorganisa l’administration forestière, assécha les marais. La France moderne lui doit pour une large part la beauté de ses routes, de ses forêts et de ses campagnes.

L’assassinat d’Henri IV, rue de la Ferronnerie à Paris

- Les fredaines du roi mûrissant déplurent au peuple autant qu’à son épouse. Ce qui avait charmé dans le héros, choquait chez un barbon. Vers la fin du règne, on entendit des plaintes ouvertes. Le libertinage vieillit mal, et Henri n’était plus le sage et joyeux Gascon de ses jeunes années.
- Le roi mort, catholiques et protestants louèrent à l’envi celui qu’ils avaient tant attaqué… Dix générations ont ratifié ce jugement et Henri IV demeure, aux côtés de Charlemagne, de Jeanne d’Arc et de saint Louis, un des héros de la France. Il en représente, non l’aspect mystique, mais les aspects courageux, sensés, joyeux, populaires, gaulois et toujours grands.

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HENRI IV RACONTÉ PAR JULES MICHELET
de l'Académie des sciences morales et politiques

Un extrait d'Histoire de France, tome dixième, Chapitre XXV, 1857

Jules Michelet, photographié par Félix Nadar

Dans l’extrait que nous vous proposons ici, Jules Michelet revient avec force détails, et non sans un perceptible plaisir romanesque, sur les motifs, les préparatifs, et le déroulement de l’assassinat d’Henri IV. Il s’attarde notamment sur le parcours et la personnalité troubles de l’assassin Ravaillac, ses hésitations et finalement sa détermination à éliminer le souverain.
Il évoque également les préoccupations d’alors et les pressentiments du « bon roi » ainsi que le rôle joué dans cette affaire par d’autres personnalités telles que le chevalier Concini et la dame d’Escoman, qui mise au courant du projet de Ravaillac, tenta vainement de sauver le roi et fut mise en prison, se heurtant à l’indifférence de la reine jalouse.

Voici quelques extraits : (l’intégralité figure dans le document attaché à la fin de cet article.)

- Il y avait à Angoulême, place du duc d’Épernon, un homme fort exemplaire, qui nourrissait sa mère de son travail et vivait avec elle en grande dévotion. On le nommait Ravaillac. Malheureusement pour lui, il avait une mine sinistre qui mettait en défiance, semblait dire sa race maudite, celle des Chica-nous de Rabelais, ou celle des Chats fourrés, hypocrites et assassins. Le père était une espèce de procureur, ou, comme on disait, solliciteur de procès. Le fils avait été valet d’un conseiller au Parlement, et ensuite homme d’affaires. Mais quand les procès manquaient, il avait des écoliers qui le payaient en denrées. Bref, il vivait honnêtement. […] Il faisait de mauvais vers, plats, ridicules, prétentieux. Du poète au fou, la distance est minime. Il eut bientôt des visions. Une fois qu’il allumait le feu, la tête penchée, il vit un sarment de vigne qu’il tenait s’allonger et changer de forme. Le sarment jouait un grand rôle en affaire de sorcellerie ; un plus modeste aurait craint une illusion du Diable. Mais celui-ci, orgueilleux, y vit un miracle de Dieu. […] C’était un grand homme et fort, charpenté vigoureusement, de gros bras et de main pesante, fort bilieux, roux de cheveux comme de barbe, mais d’un roux foncé et noirâtre qu’on ne voit qu’aux chèvres.

- Cette d’Escoman, jusque-là digne confidente d’Henriette, femme galante et de vie légère, était pourtant un bon cœur, charitable, humain. Dès ce jour, elle travailla à sauver le roi ; pendant une année entière, elle y fit d’étonnants efforts, vraiment héroïques, jusqu’à se perdre elle-même.
Le roi pensait à tout autre chose. Sa grande affaire était la fuite de Condé.

Marie de Médicis en costume de sacre, peint par François Pourbus en 1610

- se crut avilie, voyant son cavalier servant , son brillant vainqueur des joutes, qui avait éclipsé les princes, battu par les clercs, moqué par le roi. Elle avait le cœur très haut, magnanime, dit Bassompierre ; ce qui veut dire qu’elle était altière et vindicative. Pour la vendetta italienne, ce n’eût pas été trop qu’une Saint-Barthélemy générale des clercs, des juges, etc. Mais plus coupable était le roi. La reine se boucha les oreilles aux avis que la d’Escoman s’efforçait de faire arriver. Celle-ci avait été au Louvre, lui avait fait dire, par une de ses femmes, qu’elle avait à lui donner un avis essentiel au salut du roi ; et, pour assurer d’avance qu’il ne s’agissait pas de choses en l’air, elle offrait, pour le lendemain, de faire saisir certaines lettres envoyées en Espagne. La reine dit qu’elle l’écouterait, et la fit languir trois jours, puis partit pour la campagne...

- Ce qu’on sait, c’est que l’obstinée révélatrice fut arrêtée le lendemain. Incroyable coup d’audace ! Ceux qui donnèrent l’ordre étaient donc bien appuyés de la reine, ou bien sûrs que le roi mourrait avant que l’affaire vint à ses oreilles ?
- La d’Escoman était si aveugle que, du fond de sa prison, d’où elle ne devait plus sortir que pour être mise en terre, elle s’adressa encore à la reine. Elle trouva moyen d’avertir un domestique intime, qui alors n’était qu’une espèce de valet de garde-robe, mais approchait de bien près l’apothicaire de la reine. Sans nul doute, l’avis pénétra, mais trouva fermée la porte du cœur. Ravaillac a dit, dans ses interrogatoires, qu’il se serait fait scrupule de frapper le roi avant que la reine fût sacrée et qu’une régence préparée eût garanti la paix publique. C’était la pensée générale de tous ceux qui machinaient, désiraient la mort du roi. Le premier était Concini. Il mit toute son industrie à hâter ce jour. ...

- Un jour que le roi passait près des Innocents, un homme en habit vert, de sinistre et lugubre mine, lui cria lamentablement : « Au nom de Notre-Seigneur et de la très-sainte Vierge, sire, que je parle à vous ! » On le repoussa.
- Cet homme était Ravaillac. Il s’était dit qu’il était mal de tuer le roi sans l’avertir, et il voulait lui confier son idée fixe, qui était de lui donner un coup de couteau.

François Ravaillac

- La nuit du 13, ne pouvant trouver de repos, cet homme si indifférent se souvint de la prière, et il essaya de prier. Le matin du vendredi 14, son fils Vendôme lui dit que, d’après un certain Labrosse, ce jour lui serait fatal, qu’il prît garde à lui. Le roi affecta d’en rire. Vendôme en parla à la reine, qui, plus ébranlée qu’on n’eût cru, par une contradiction naturelle, supplia le roi de ne pas sortir. Il dîna, se promena, se jeta sur son lit, demanda l’heure. Un garde dit : « Quatre heures », et familièrement, comme tous étaient avec le roi, lui dit qu’il devrait prendre l’air, que cela le réjouirait. « Tu as raison... Qu’on apprête mon carrosse. »

Une tradition veut qu’au moment où le coup fut fait, Concini ait entr’ouvert la chambre de la reine, et lui ait jeté ce mot par la porte : « È ammazzato . »

Retrouvez l'intégralité des textes de Maurois et Michelet en cliquant sur ce document:

Écoutez également les textes de François-René Chateaubriand et de Victor Duruy sur Henri IV

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