Auvers-sur-Oise et Pontoise à quelques toises

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

Saviez-vous que les villes Auvers-sur-Oise et Pontoise possèdent pléthores d’expressions les concernant ? De Vincent Van Gogh qui a fait connaître Auvers et a mis là fin à ses jours, à la machine à vapeur de Pontoise, et pour cesser définitivement "d’avoir l’air de revenir de Pontoise"... découvrez avec le lexicologue Jean Pruvost que tous les mots ont une histoire !

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots552
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Il est des petites villes, moins de 6000 habitants en l’occurrence, situées par exemple en amont de Pontoise sur la rive droite de l’Oise, qui malgré leur petite taille deviennent célèbres dans le monde entier grâce à un peintre de génie. Vous avez deviné qu’il s’agit d’Auvers-sur-Oise et de Vincent Van Gogh. Bien entendu, Auvers a existé avant que le peintre ne choisisse d’y mettre fin à ses jours, le 27 juillet 1890, et avant qu’il ne peigne la même année l’un de ses tableaux les plus célèbres, « l’Église d’Auvers-sur-Oise ». On a tous le souvenir de la peinture magistrale qu’il a offerte de ce petit édifice qui date du XIIIe siècle et dont le vrai nom est Notre-Dame-de-l’Assomption. Ce tableau est d’ailleurs solidement implanté dans tous nos dictionnaires patrimoniaux : le Petit Larousse illustré, par exemple, a été le premier à le choisir pour illustrer Van Gogh. L’église est représentée du côté de l’abside, se découpant sur un ciel bleu sombre et chaud à la fois, ramassée dans toute son énergie, tout en même temps massive et légère.

Le titre choisi pour le monument, « l’église », ne manque pas de force. Tout comme le mot lui-même, qui vient du grec ekklesia désignant une assemblée de citoyens, un mot qui dans la religion chrétienne est devenue l’assemblée des fidèles, ecclesia. Au cours du Moyen Âge, le mot ecclesia a aussi défini le lieu où les chrétiens se réunissaient et c’est cette valeur architecturale en somme, qui est restée. Le mot église a d’ailleurs parfois été abrégé : ainsi en ancien français on pouvait dire une « glise ». On lui a également ajouté un suffixe diminutif, et on a créé alors, toujours en ancien français, une « églisette », un bien joli mot que l’on a oublié.

Quels sont les arbres que peint Van Gogh à la gauche de l’église ? Difficile à déterminer. Nous dirons, pour faire le lien avec l’origine probable du nom du village d’Auvers-sur-Oise, qu’il pourrait bien s’agir de quelques aulnes, a u l n e s, la lettre l ne se prononçant pas. Albert Dauzat signalait en effet que le mot « alvernis » d’où est tiré Auvers-sur-Oise comme Auvers-Saint-Georges était issu du gaulois revisité par le latin Arvernus, représentant soit le surnom d’un homme, soit un dérivé du mot qui désigne l’aulne, un arbre qui aime à pousser dans les endroits où il y a de l’eau. En réalité, on sait aujourd’hui qu’il s’agit du mot gaulois are verno, qui signifiait près (are) de l’aulne (verne ou vergne en gaulois). Il faut ici se souvenir que la Gaule était couverte de forêts, et que pour trouver les endroits où il y avait de l’eau, des sources, il suffisait de repérer des aulnes parce qu’ils poussent en effet dans les endroits humides.

Dans son ouvrage intitulé Les noms de villes et de villages, chez Belin, Éric Vial situe diverses communes sur une carte de France qui tirent leur nom du mot verne, vergne désignant en gaulois l’aulne. Ainsi, en région parisienne, on repère Vernouillet, Vert, Vaires et Vernou. Et du nord au sud de la France, les villages appelés Le Vernet ou La Vergne ne manquent pas. Mais c’est Auvers-sur-Oise qui a gagné la célébrité. Parce qu’en soixante-neuf jours Van Gogh y peignit un nombre considérable de toiles (70 !), dont l’Église, mais aussi, et on aurait tendance à l’oublier, la Mairie ! Ainsi, les Auversoises et les Auversois sont-ils immortalisés dans les deux bâtiments qui symbolisent le mariage et le charme d’une commune.

Pontoise à quelques toises

À « 34 kilomètres (au) N. de Versailles » et « à 32 km (au) N.-O. de Paris, sur le chemin de fer du Nord. » Si vous êtes très fort en géographie, vous avez peut-être deviné. Nous sommes à Pontoise, telle que la ville est présentée par Larousse dans son Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle (1876). En cette seconde moitié du XIXe siècle, il ajoute même, avec le bonheur perceptible du progressiste, que Pontoise est alimentée par « une machine à vapeur. Son réservoir » se trouvant « à 55 mètres au-dessus du niveau de l’Oise ».

La ville était cependant déjà entrée dans la mémoire collective à travers nos classiques. Ainsi, dans Les Plaideurs de Racine, (1668), Petit Jean s’exclame tout agacé devant ses interlocuteurs qu’« Ils me font dire aussi des mots longs d’une toise, De grands mots qui tiendraient d’ici jusqu’à Pontoise. »

« D’ici jusqu’à Pontoise », signifiait donc « d’ici à un lieu éloigné ». Il est pourtant difficile d’imaginer que Pontoise puisse paraître loin de Paris, mais c’est là qu’intervient un jeu de mots : Pontoise rime en effet avec la « toise », une ancienne mesure qui correspondait approximativement à deux mètres. En réalité, on a joué de Pontoise comme de Pampelune en Espagne, qui rimait avec « aussi éloigné que la lune ».
On disait également « avoir l’air de revenir de Pontoise », c’est-à-dire « avoir l’air étonné, ahuri, dire des sottises ». Il s’agit probablement d’une allusion aux parlementaires transférés à Pontoise en 1652, puis en 1753. En revenant de Pontoise, il aurait fallu effectivement les mettre au courant des « mille et un riens » qui font la vie quotidienne de Paris et devant lesquels ils auraient été ahuris. On a hélas dit aussi « avoir un œil à Paris et l’autre à Pontoise » pour désigner un strabisme certain. Mais que les Pontoisiennes et les Pontoisiens se rassurent, toutes ces expressions sont flatteuses : elles témoignent tout simplement de l’importance de leur bonne ville en concurrence avec Paris. Une concurrente à seulement… quelques toises !

Jean Pruvost est professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise. Il y enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.
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