Le Liban francophone

La chronique de Geneviève Guicheney, Correspondant de l’Institut
Avec Geneviève GUICHENEY
journaliste, Correspondant

De Québec à Bransat, de la Belle Province au Bourbonnais, on célèbre partout le français après le 12e sommet de la Francophonie (automne 2008). Le français fait l’objet de sommets qui dissimulent mal l’oubli qui le menace. Oh, pas dans la Petite France, comme on appelait autrefois le Liban !

Émission proposée par : Geneviève GUICHENEY
Référence : chr528
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Autrefois aussi on parlait le français à la cour de Russie. C’était la langue diplomatique. Aujourd’hui on parle plus volontiers un anglais de cuisine, véritable novlangue qui donnerait la migraine à Shakespeare.

Le Liban cependant résiste et le français y reste la première langue étrangère parlée couramment, pas part tous mais dans toutes les communautés comme en témoignent des rapports réguliers sur la place du français au Liban. Laissons de côté les chiffres et voyons plutôt dans ces études statistiques de la résistance libanaise à l’adversité anglomaniaque le signe chaleureux d’un attachement à une langue qui fait partie de l’histoire libanaise, langue d’échange et de paix. Je ne saurais le dire aussi bien que la poétesse libanaise Nadia Tuéni : À l'égal de l'arabe, le français nous est langue "naturelle"; l'adopter librement ne veut nullement dire rejeter notre identité libanaise, moyen-orientale et arabe, mais bien au contraire, la consacrer, la magnifier, la rendre plus agissante, en lui offrant vers d'autres mondes, vers tous ceux que lie l'amour des mêmes mots, le moyen de se faire connaître, de prendre et de donner, but profond de toute culture...

C’est si vrai que je peux en témoigner. En 1998 j’ai eu le plaisir de participer à une conférence sur les autoroutes de l’information à Beyrouth. Je présidais une table ronde dont j’étais aussi rapporteuse. Dans quel autre pays du monde aurais-je pu accomplir ces tâches en français en étant comprise de tous ?

Hélène Renard remettant le prix Allen aux deux lauréates libanaises : Claire Baraghid et Marthe Etchebane Attieh.

Membre fondateur de la francophonie, le Liban est la tête de pont de l’usage du français dans toute la région. Ce n’est pas comme dans d’autres pays, un avatar de l’histoire, un résidu douloureux de la colonisation. C’est un choix. Même si aujourd’hui de nombreux libanais sont anglophones pour leurs échanges internationaux, peut-être même plus et mieux que les Français, ils ont conservé au français une place singulière et forte.

Comme le disait le Premier ministre libanais Rafik Hariri au sommet francophone de Hanoi, en 1997 : Fier de sa culture arabe et de son héritage méditerranéen, le Liban perçoit la francophonie comme un mode de vie et de pensée . C’est émouvant et subtil. Profond aussi, témoignant à la fois d’un refus du renoncement, d’une volonté de surmonter toutes les adversités.

Antoine Sfeir commente en ces termes la phrase de Rafik Hariri : Mode de vie et de pensée, il s’articule essentiellement autour du doute. Celui ci permet en premier lieu de se débarrasser de tous les acquis, qu’ils soient familiaux ou communautaires. Peu à peu, l’individu imprégné de francophonie, apprend imperceptiblement à penser, et surtout à penser de lui-même, en ne prenant pas pour acquis tout ce qu’on lui a inculqué jusque-là. Ce doute donne au francophone l’outil nécessaire pour développer un apport critique, un discernement naturel ce qui lui permet d’exercer un jugement sur lui-même et sur la société dans laquelle il vit. Cette distanciation vécue développe, autour de l’individu, un espace de liberté – autre élément de l’universel – qui le fait dresser tout aussi naturellement contre les ordres établis. La francophonie accompagne cette rébellion et la nourrit. Mais en même temps que cet espace de liberté, elle souligne également le sens de la responsabilité : l’individu a du mal à se comporter sans se soucier de son entourage proche. C’est dans ce sens qu’une francophonie vécue devient chemin intiatique à la citoyenneté.

La langue comme espace de paix. Albert Camus disait : « Ma patrie, c’est la langue française. » On sait toute la tension attachée à la patrie. Le patriotisme vous met sur la défensive. L’histoire du monde est marquée de combats patriotiques, souvent légitimes même si sanglants et douloureux. En élisant la langue comme patrie, Camus abolit les frontières, ouvre un espace où l’on vient de son plein gré, où souffle un vent de liberté.

Ainsi le français échappe à la France et devient riche de son emploi dans des ailleurs qui lui donnent une dimension unique. Ce n’est pas nous, les Français de France, qui peuvent lui donner cet horizon sans limites. Nourris dès l’enfance de la langue de Molière, nous la parlons comme on respire, presque étourdiment quand pour d’autres elle est une acquisition volontaire, têtue et généreuse.

Un Prix Allen 2008 remis à deux libanaises : Claire Baraghid et Marthe Etchebane Attieh

Enseigner le français, concevoir, comme vous les faites, des livres pour l’apprendre, quand tout vous invite à céder aux sirènes mondialistes, est un combat qui va bien au-delà d’une simple démarche pédagogique linguistique.

Hélène Renard, directrice de Canal Académie, entre les deux lauréates libanaises : Claire Baraghid et Marthe Etchebane Attieh.

Une langue est le véhicule d’une culture, d’une pensée. Vous contribuez à entretenir l’universel de la culture française. Elle n’en a pas l’exclusivité, ce serait absurde de la considérer en termes de hiérarchie et de supériorité. L’altérité se nourrit du frottement des idées, lesquelles ont besoin d’une langue pour s’exprimer. Le fait est que l’histoire de la pensée française donne à notre langue un contenu qui ouvre au partage de valeurs, de raisonnements, qui permet la dispute et la réconciliation.

Nous sommes les héritiers d’un passé qui nous ordonne d’en être les gardiens vigilants. Chacun peut y contribuer où qu’il soit. C’est cela qui est magnifique. La langue dépasse les frontières de son berceau. Elle appartient à tous ceux qui l’aiment. Elle vous appartient, à vous et à tous ceux que vous initiez.

Nous sommes fiers que vous ayez choisi un texte de la Revue Positions et Médias qui traite d’humanité, qui essaie de dire l’aspiration à un monde plus juste et nous ne saurions vous dire assez notre gratitude. Soyez ici remercié(e)s et célébré(e)s pour faire entrer de nouvelles générations dans un territoire où ils pourront épanouir une partie d’eux-mêmes. Vous n’êtes pas simplement des pédagogues et des linguistes, vous œuvrez pour la paix.

En écrivant ce texte je mesurais bien que les jeunes gens et jeunes filles de France dont il parle se sentiraient concernés. Je n’imaginais pas que mes mots puissent traverser les frontières au point de dire quelque chose à des adolescents d’ailleurs. C’est une grande émotion pour moi que vous ayez voulu les faire partager à vos enfants me permettant de les chérir tout autant que les nôtres. Grâce à vous mon cœur bat au Liban.

Note de la rédaction :

Geneviève Guicheney fait ici référence à l'un de ses éditoriaux de la revue Positions et Médias, intitulé "vivre autrement", qui est repris dans un ouvrage scolaire pour élèves du cycle primaire au Liban. Cet ouvrage publié sous la direction de Claire Baraghid et Marthe Etchebane Attieh, a été couronné du Prix Allen 2008 à Bransat (Allier).
Vous pouvez écouter ce texte "Vivre autrement" enregistré par Geneviève Guicheney Vivre autrement

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