Les dessins d’Ingres – « Ombres permanentes »

Exposition au musée de la Vie romantique, à Paris, avec son directeur Daniel Marchesseau
Avec Krista Leuck
journaliste

Daniel Marchesseau, directeur du musée de la Vie romantique, à Paris, nous présente la subtile sélection de dessins du peintre Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867), parmi l’importante collection du musée Ingres de Montauban. Il avait été élu à l’Académie des beaux-arts le 25 juin 1825.

Émission proposée par : Krista Leuck
Référence : carr517
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Luigi CALAMATTA(1801-1869). D’après l’Autoportrait d’Ingres, 1835, Louvre
Gravure au burin, 1839<br /> 52,3 X 43 cm<br /> © Musée de la Vie romantique – Roger-Viollet

Cette exposition réunit une centaine d’esquisses préparatoires. Elles sont l’œuvre de Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867), membre de l’Institut, artiste majeur du XIXe siècle, considéré comme le meilleur dessinateur de son temps. Le choix de l’exposition en a été laissé à Catherine Lépront, écrivain, essayiste et dramaturge. Elle avait carte blanche et a su trouver une approche très personnelle, en se laissant guider par la gestuelle particulière du peintre, son goût pour les extravagances, et en témoignant de sa profonde admiration pour les études du Martyre de saint Symphorien (1824, visible à la cathédrale Saint-Lazare d'Autun).

Ingres, Le Martyre de Saint Symphorien
4,07m x 3,39m, 1834, Autun, Cathédrale<br /> © Erich Lessing

Dans le superbe catalogue de cette exposition, le maire de Paris, Bertrand Delanoë, note en préface : « L’exposition nous donne à voir la genèse de l’œuvre du maître. Elle nous révèle que la pureté du trait, la perfection formelle ne vont pas sans grain de folie, sans cette inquiétude et ce tourment du romantisme, sans élongations, disproportions, extravagances… Ingres n’hésite pas à bousculer ou transgresser lois de l’anatomie et règles de la perspective pour parvenir à la liberté, à la vérité de l’art. »

Canal Académie est venu une nouvelle fois au musée de la Vie romantique pour admirer Ingres et rencontrer le directeur du musée. Daniel Marchesseau, conservateur général du patrimoine et co-commissaire de l’exposition, nous trace le cheminement élaboré de l’artiste d’après les différents thèmes (la mythologie, les mains, les portraits, les drapés, les études préparatoires pour le Martyre de saint Symphorien, etc.).
Il nous introduit également dans l’univers de Jean Auguste Dominique Ingres et au cœur même de son œuvre.

Ingres, Jésus remettant les clefs à saint Pierre, 1818 1820 Draperie
Pierre noire, estompe<br /> et lavis d’encre de Chine sur papier<br /> 50 x 23,5 cm.<br /> Legs Ingres, 1867<br /> © Musée Ingres, Montauban, cliché Roumagnac.

Il nous fait ressentir la finesse et la profondeur du travail de ce maître du néoclassicisme.

Pour Daniel Marchesseau, c’est un Ingres bouleversant que nous voyons ici, l’homme au travail, au labeur, l’homme qui s’interroge, celui qui cherche des solutions avec âpreté, qui, sur le même dessin, va essayer plusieurs positions d’un torse, d’un bras, d’une main…
C’est quelqu’un qui exécutera d’autant plus rapidement ses tableaux à l’huile qu’il aura longuement mûri sa recherche formelle. Avec une puissance et une sûreté de soi-même qui est très convaincante.
Là, nous voyons l’intimité, le journal intime, les pages qui se suivent et ne se ressemblent pas, des angles inattendus, d’extraordinaires richesses recelées dans trois traits de crayon.

Ingres, Le Vœu de Louis XIII, 1823-1824 Anges (nus)
Pierre noire sur papier<br /> 51,6 x 37,1 cm,<br /> Legs Ingres, 1867<br /> © Musée Ingres, Montauban, cliché Roumagnac.
Le Martyre de saint Symphorien, 1834, Le préteur, (à mi-corps, avec reprise du bras droit)
Pierre noire sur papier<br /> 22,8 X 20,8 cm.<br /> Legs Ingres, 1867<br /> © Musée Ingres, Montauban, cliché Roumagnac
Ingres, Le Martyre de saint Symphorien d’après le modello de 1827 La mère (nue, avec quatre bras gauches)
Mine de plomb et pierre noire<br /> 36,6 x 25 cm.<br /> Legs Ingres, 1867<br /> © Musée Ingres, Montauban, cliché Roumagnac.

L’auteur du catalogue de cette exposition, l’essayiste et romancière Catherine Lépront, nous résume en quelques phrases l’essentiel de ses recherches : « Des premières idées aux ultimes décisions, des compositions d’ensemble aux ultimes infimes détails inlassablement repris, il y a là toutes les étapes du processus de création d’une œuvre. Mais aussi les traces que nous laisse Ingres de sa pensée, de ses errances, de ses indécisions, devant les innombrables virtualités qu’offre la surface à peindre.
Plus l’idée se précise, plus le dessin est épuré. Le corps semble perdre de sa matière, littéralement se désincarner pour qu’il n’en subsiste que son contour essentiel, sa forme stricte, comme si Ingres avait procédé par gommages successifs de données superflues. »

Catherine Lépront poursuit : « Enfance, maturité, vieillesse, ce sont tous les âges de la vie qui sont représentés, mais également toutes les émotions, toutes les humeurs du romantisme, et c’est bien d’une rêverie sur l’humanité qu’il s’agit, en même temps que d’une rêverie sur l’art – antique, classique et, déjà, moderne. »

Ingres, Apothéose d’Homère, 1827 Odyssée nue se retournant, avec reprise du bras droit
Pierre noire sur papier beige<br /> 26,2 x 32 cm.<br /> Legs Ingres, 1867<br /> © Musée Ingres, Montauban, cliché Roumagnac.

D’où vient le titre Ombres permanentes ?

Daniel Marchesseau nous éclaire : il s’agit d’un phénomène physique très étrange, découvert par des savants japonais et américains. Après l’explosion des bombes nucléaires sur Nagasaki et Hiroshima, les radiations ont distribué, dans un cercle concentrique, des ombres, qu’avaient projetées puis moulées en une sorte de bas-relief la lumière violente et l’énorme chaleur de la bombe. Ainsi se sont fixées sur les murs, les ombres « permanentes » des corps en mouvement et des bâtiments.

Cette visite guidée de l’exposition de dessins de Jean Auguste Dominique Ingres, au musée de la Vie romantique, à Paris, par son directeur Daniel Marchesseau nous révèle un Ingres hors des sentiers connus des Angélique, de La Source, de La grande Odalisque ou encore du Bain turc. Ici, nous entrons dans l’atelier de l’artiste, à la puissance visionnaire, sans cesse en quête obsessionnelle de la juste position des corps, il les déshabille et les recompose avec les drapés de la silhouette habillée.
Au-delà de sa maîtrise parfaite du trait, nous trouvons, sous-jacente, une profonde émotion, qui baigne toute l’œuvre de ce grand maître.
Daniel Marchesseau insiste, il y a là « l’affirmation d’un génie ».

Pour en savoir plus :

- Jean Auguste Dominique Ingres (1780-1867), élu le 25 juin 1825 membre de l’Académie des beaux-arts (section de Peinture).

Commissaires de l’exposition :
- Catherine Lépront, écrivain
- Florence Viguier-Dutheil, directrice du musée Ingres de Montauban, conservatrice du patrimoine
- Daniel Marchesseau, directeur, conservateur général du patrimoine

- Musée de la Vie romantique

Catalogue de l’exposition publié par Paris musées Ingres – Ombres permanentes. Belles feuilles du musée Ingres de Montauban, par Catherine Lépront.

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