Discrimination et colonisation

Mot pour mot, la rubrique de Jean Pruvost
Avec Jean Pruvost
journaliste

Si, étymologiquement, discrimination a un rapport avec crime, colonisation en revanche évoquerait la culture, celle de la terre s’entend ! Le latin et l’anglais ne sont absents ni du premier mot ni du second. Découvrez toutes ces nuances avec notre lexicologue Jean Pruvost.

Émission proposée par : Jean Pruvost
Référence : mots511
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La discrimination vient du crime !

La discrimination est rhétorique, anglaise et vient du crime. Voilà une affirmation curieuse, à moins qu’on ne rappelle que le mot est tiré du latin discriminatio, signifiant séparation, et qu’il s’utilisait en grammaire et rhétorique pour distinguer, par exemple, le réel de l’irréel.
Si, ensuite, on signale que dans discriminatio, se cache crimen, désignant l’accusation (puis plus tard le chef d’accusation, le crime), on explique alors le lien avec le crime. Il faut alors préciser que crimen était issu du verbe cernere, cerner une situation, donc prendre des décisions et établir des discriminations.

Enfin, ce sont les Anglais qui les premiers ont adopté au XVIIe siècle le mot latin, nous leur avons ensuite emprunté au XIXe siècle, Littré étant le premier à enregistrer ce mot promu à une belle carrière. A. Santini, dans Le véritable dictionnaire du politiquement correct (1996), présente la discrimination positive comme la traduction de l’anglais affirmative action, en précisant que «pour nous Français, les inégalités même avérées, ne peuvent en aucun cas se traduire par l’attribution de privilèges. Et chacun de comptabiliser les effets positifs et les effets pervers des deux systèmes.»

De la colonisation à l’éclosion

«Jamais colonisation n'a été plus heureuse, n'a porté de plus beaux fruits, que celle des Romains en Gaule». C’est ainsi qu’est illustré le sens premier du mot colonisation dans notre plus grand dictionnaire, le Trésor de la langue française. Pour cette «mise en tutelle d'un territoire sous-développé et sous-peuplé par les ressortissants d'une métropole», fut donc choisie en toute fraîcheur une citation extraite d’un manuel, L’Histoire de France (1924) de Bainville.

C’est aussi dans le TLF que l’on retrouvera Jules Vernes évoquant les indigènes «brutalement repoussés par les colons», ici les Anglais qui, «au début de leur conquête, appelèrent le meurtre en aide à la colonisation». Continuons avec ce bouc émissaire, puisque coloniser et colonisation ont bel et bien été empruntés à l’anglais au XVIIIe siècle. En latin, colonus, colon, désignait de fait le cultivateur, le tenancier d’une terre, conformément au verbe colere, cultiver. Et Bruno Masure, dans son Dictionnaire analphabétique (1990) de définir réalistement la colonie : «Réunion d’hommes partis d’un pays pour aller en exploiter un autre». Mais quelle est l’anagramme de colonisé ? Éclosion. Un mot riche d’avenir !

Jean Pruvost est Professeur des Universités à l’Université de Cergy-Pontoise, où il enseigne la linguistique et notamment la lexicologie et la lexicographie. Il y dirige aussi un laboratoire CNRS/Université de Cergy-Pontoise (Métadif, UMR 8127) consacré aux dictionnaires et à leur histoire.
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