Le Traité de Lisbonne : des clés pour mieux comprendre

avec Marie-Béatrice Lahorgue, maître de conférences à la faculté de droit de Poitiers
Avec Hélène Renard
journaliste

Pourquoi un nouveau Traité sur l’Europe ? Quelles avancées réelles apportera le Traité de Lisbonne ? Qu’entend-on par projet européen ? Marie-Béatrice Lahorgue, enseignante en droit communautaire et institutions européennes à la faculté de droit de Poitiers résume ici les points essentiels qui font débat et les principaux changements institutionnels.

Émission proposée par : Hélène Renard
Référence : foc346
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Le Traité de Lisbonne ratifié par les 27

« Je m'attendais à cette décision de la Cour constitutionnelle et je la respecte,
bien que je la désapprouve fondamentalement (…)"Avec l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la République tchèque cessera d'être un Etat souverain"(Extraits de la conférence de presse du Président tchèque- 3 novembre 2009 à 15 heures)

Le Président Vaclav Klaus, eurosceptique, bloquait la ratification du Traité de Lisbonne par son pays, malgré l'approbation des deux chambres du parlement tchèque. Le Président craignait en réalité que la Charte des droits fondamentaux, prenant toute sa force juridique avec le Traité de Lisbonne, ne remette en cause les « décrets Bénès », qui ont permis l'expulsion et la confiscation des biens de 3 millions d'Allemands des Sudètes à la fin de la deuxième guerre mondiale.

« Les décrets Bénès »
Les décrets du Président de la République plus connus sous le terme de décrets Beneš sont des décrets promulgués par Edvard BENES, président du Gouvernement tchécoslovaque en exil, en l'absence de ratification par le parlement tchécoslovaque dissous. Ces décrets ont concerné en tout premier lieu l’expropriation et l’expulsion des Allemands des Sudètes et des Hongrois de Slovaquie à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Le Président Edvard BENES démissionne de ses fonctions le 5 octobre 1938 suite aux Accords de Munich. Il est remplacé par Emil Hácha avant que le pays ne sombre dans l'anarchie et ne disparaisse. La Slovaquie, sous la houlette de Monseigneur Jozef TISO déclare son autonomie le 7 octobre 1938 avant d'être reconquise, le 9 mars 1939, par les armées tchèques ; elle déclare son indépendance le 14 mars 1939 alors que le Reich s'empare de la Bohême-Moravie transformée en protectorat le 15 mars 1939.

C'est en tant que chef du gouvernement tchécoslovaque en exil puis en tant que chef du gouvernement provisoire d'après-guerre qu’Edvard Beneš promulgue ces décrets qui sont, le 5 mars 1946, ratifiés par l'Assemblée nationale provisoire.

Les décrets, préparés par le gouvernement en exil et signés par le Président, se répartissent en trois catégories :
- entre 1940 et 1944, les décrets publiés depuis Londres, établissent un gouvernement tchécoslovaque en exil (y compris une armée);
- de 1943 au 5 avril 1945, le gouvernement provisoire établit son siège à Košice. Les décrets ont alors pour objet d'assurer la transition du pouvoir dans les zones libérées du territoire tchécoslovaque par les Alliés et l'organisation du gouvernement tchécoslovaque d'après-guerre ;
- d’avril 1945 au 26 octobre 1945 (date du dernier décret), la confiscation des biens et l'expulsion des ressortissants des minorités nationales allemande et hongroise, et de certaines organisations (l'Église catholique dont les biens sont nationalisés) sont prononcées.

Le président Klaus voulait obtenir la garantie que la Charte des droits fondamentaux ne remettrait pas en cause ces décrets. La Grande-Bretagne et la Pologne ont en effet d’ores et déjà obtenu des dérogations à l'application de la Charte des droits fondamentaux sur le droit de grève et le droit de l'avortement. Londres refusait que la Cour européenne de justice ne s'appuie sur la Charte pour imposer aux Britanniques de nouveaux droits sociaux, et Varsovie craignait de se voir imposer la légalisation du mariage homosexuel. La dérogation demandée par le président tchèque devrait empêcher toute restitution des biens des Allemands des Sudètes confisqués après la Seconde guerre mondiale.

La Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne reprend en un texte unique, pour la première fois dans l'histoire de l'Union européenne, l'ensemble des droits civiques, politiques, économiques et sociaux des citoyens européens ainsi que de toutes personnes vivant sur le territoire de l'Union. Ces droits sont regroupés en six grands chapitres : dignité, liberté, égalité, solidarité, citoyenneté, justice.

Ils sont basés notamment sur les droits et libertés fondamentaux reconnus par la Convention européenne des droits de l'homme, les traditions constitutionnelles des Etats membres de l'Union européenne, la Charte sociale européenne du Conseil de l'Europe et la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs ainsi que d'autres conventions internationales auxquelles adhèrent l'Union européenne ou ses Etats membres.

Texte intégral de la Charte des droits fondamentaux
http://www.europarl.europa.eu/charter/pdf/text_fr.pdf

Parallèlement, 17 sénateurs europhobes de l’ODS, le parti de Mirek Topolanek, proches du président Klaus, ont remis en cause le Traité de Lisbonne en formant un recours en conformité devant la Cour suprême tchèque. Ils considéraient en effet que le Traité de Lisbonne n'était pas conforme à la loi fondamentale du pays.

La République tchèque a finalement obtenu le même droit d'exception que la Pologne et le Royaume-Uni sur la Charte des droits fondamentaux, prévu par le protocole 30 au traité de Lisbonne. Les Slovaques craignaient que cette décision ait des répercussions dans leur pays mais ils ont finalement renoncé à bloquer l'accord. Ce compromis permettra l'entrée en vigueur du traité au mois de décembre.

La Slovaquie souhaite obtenir le même traitement que son voisin tchèque, alors que les Autrichiens et les Hongrois refusent que les décrets Benes, au coeur de la revendication de Vaclav Klaus soient mentionnés explicitement dans la déclaration.

Le ministre des Affaires étrangères de Slovaquie a déclaré que son pays, bien qu’ayant déjà ratifié le traité de Lisbonne, entendait bénéficier de la même exception que celle exigée par la République tchèque. Le ministre slovaque Miroslav Lajcak a expliqué que son pays devait bénéficier d’une exception à la Charte des droits fondamentaux - comme l’exige la République tchèque - afin d’empêcher toute demande de restitution ou d’indemnisation au nom des trois millions d’Allemands expulsés des Sudètes après la Deuxième guerre mondiale.

M. Lajcak a fait valoir que la Slovaquie et la République tchèque, issues de la Tchécoslovaquie, avaient hérité de la même législation sur cette question. “La Slovaquie est, autant que la République tchèque, issue de l’ancienne Tchécoslovaquie, et, en conséquence, nous devons insister sur le même niveau de protection politique et légale”, a déclaré le ministre slovaque.
La réponse aux demandes slovaques reste toutefois à trouver, le pays ayant déjà ratifié le traité de Lisbonne.

Par ailleurs, La Cour constitutionnelle tchèque a unanimement jugé le 3 novembre dernier que le Traité de Lisbonne était conforme à la Constitution du pays. http://www.nsoud.cz/fr/index.php (Site officiel de la Cour suprême tchèque dont le siège est Brno)

Le président Vaclav Klaus s'est alors résolu à signer la loi de ratification en indiquant que " la République tchèque allait cesser d'être un Etat souverain" .

Selon les textes officiels, l'entrée en vigueur du traité est prévue "le premier jour du mois suivant le dépôt des instruments de ratification de l'Etat signataire qui procède en dernier à cette formalité". Le traité de Lisbonne étant désormais pleinement ratifié, il devrait entrer en vigueur au 1er décembre 2009.

Le premier ministre suédois, Fredrik Reinfeldt, a déclaré qu'il annoncerait "dès que possible" la réunion d'un sommet extraordinaire des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union pour désigner les deux personnalités qui seront le visage et la voix de l'Europe : un président stable et un ministre des affaires étrangères.

Liens et sites utiles :

Le Traité de Lisbonne est consultable ici
Suivez l’actualité de la ratification du Traité de Lisbonne ici.
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Marie-Béatrice Lahorgue, maître de conférences à la faculté de droit de Poitiers, directeur de recherches, est enseignante en droit communautaire et institutions européennes.

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