L’Argot : langage imagé ou langue des voleurs ?

Par le bibliologue Bertrand Galimard Flavigny

Voici l’occasion de découvrir les origines de l’argot, autrefois appelé "jobelin". Dans l’Histoire des brigands, chauffeurs et assassins d’Orgères, livre paru en 1800, un dictionnaire d’argot se trouve en fin de pages, pour comprendre le langage des voleurs ! Notre expert en bibliophilie vous raconte tout... dans un langage correct !

Émission proposée par : Bertrand Galimard Flavigny
Référence : pag239
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L’usage de la langue argotique dans les milieux parallèles n’était pas nouveau. Dans l’édition de 1694, la première, du Dictionnaire de l’Académie française, on peut lire à l’entrée, Argot. : «On dit plus communément Ergot. Pointe dure qui vient au derrière du pied de quelques animaux. Les argots d'un coq, d'un chien ; il s'est rompu l'argot en courant».
Ce qui ne nous apprend rien, sur le moment, mais il suffit de lire le second exemple : « On dit fig. Se lever sur ses argots, monter sur ses argots, pour dire, s'élever d'action et de parole, avec chaleur et audace. ». Parler l’argot, c’est donc parler avec audace.
En 1762 la définition est plus explicite : « Certain langage des gueux et des filoux, qui n'est intelligible qu'entre eux ». Cette fois l’argot était officialisé.

Avant l’argot, on parlait un autre jargon. Le compte rendu du « procès des Coquillards », en 1455, fournit le premier lexique argotique, avec soixante-dix « noms de jargon jobelin ». Un certain Olivier Chéreau, mercier de son état et membre de la Compagnie du Saint-Sacrement, donna, en 1628, à Oudot, à Troyes, Le Jargon de l’Argot Réformé. Cet ouvrage sera régulièrement réédité jusqu’en 1849. Il est à la source de plusieurs ouvrages du XIXe siècle, notamment la description de la « Cour des miracles » d’Henri Sauval (1623-1676) qui sera reprise par Victor Hugo dans Notre-Dame de Paris.

Charles Nodier trouva, dans le Chéreau, l’idée d’une société criminelle organisée qui réformait régulièrement son langage pour le garder secret. Dans son ouvrage, Les Sources de l’Argot, le lexicographe Lazar Sainéan indique qu’au XVIIIe siècle, le procès de Cartouche alimenta l’intérêt pour l’argot dont on publia des mots jusqu’alors inconnus.
Des comédiens français rendirent visite au brigand, dans sa cellule afin de lui soutirer un vocabulaire et des chansons qui alimentèrent une comédie intitulée Cartouche ou les voleurs jouée en octobre 1721.

Lorédan Larchet, auteur des Excentricités du langage parues pour la première fois en 1865, assurait qu’une bonne part de notre ancien vocabulaire dérivait déjà de l’argot. Selon les linguistes du XXe siècle, c'est-à-dire Sainéan, Albert Dauzat et Marcel Cohen, le seul langage authentique crypté des voleurs et des criminels, est celui de Vidocq. Comme l’on sait que le chef de la police de Sûreté avait puisé son vocabulaire dans celui des chauffeurs qui, eux-mêmes s’étaient inspirés de Cartouche, nous pouvons imaginer que l’argot, langue parallèle par excellence, a vécu comme toutes les autres, avec des transformations, des allitérations, des emprunts et des ajouts.
Ce que soulignait Balzac : « Disons-le, peut-être à l’étonnement de beaucoup de gens, il n’est pas de langue plus énergique, plus colorée que celle de ce monde… L’argot va toujours, d’ailleurs ! Il suit les civilisations, il la talonne, il s’enrichit d’expressions nouvelles à chaque nouvelle invention ».

En lisant la nomenclature des termes jadis propres aux conversations du brigandage et de la filouterie, on devine d’une part qu’un certain nombre de ces termes ne subsisteront pas longtemps, et, d’autre part on aperçoit que beaucoup ont pris droit de cité dans l’usage public. Quel Parisien, même rangé, même prude, ignore absolument que l’eau d’affe, c’est de l’eau-de-vie ; la bouffarde, une pipe ; la dèche, les ennuis de la misère ; que balle veut dire tête ; curieux, juge ; gazon, perruque, etc. ?

P. Leclair, Histoire des brigands, chauffeurs et assassins d’Orgères, éditions La Bilbliothèque, sept. 2006.

Histoire des brigands, chauffeurs et assassins d’Orgères, par P. Leclair, Les éditions La Bibliothèque, 140 p. 14 €.

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- Michel Ellenberger, Cartouche, histoire d’un brigand, un brigand devant l’histoire , Les éditions La Bibliothèque, 190 p. 18 €.

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