« Une voie française dans la modernité », une communication de philippe Iribarne à l’Académie des sciences morales et politiques

Comment les Français s’adaptent à la mondialisation dans les rapports de travail ?

Quelles sont les dérives qui empêchent la France de se moderniser, de quelles conceptions les salariés restent-ils prisonniers ? Quels sont nos atouts ? D’où viennent les difficultés ? Le 21 janvier 2013, Philippe Iribarne, directeur de recherche au CNRS, ingénieur formé à l’économie, l’auteur de La logique de l’honneur , était l’invité de l’Académie des sciences morales et politiques pour prononcer une communication sur le thème de "la France dans le monde".

Émission proposée par : Marianne Durand-Lacaze
Référence : es678
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Philippe Iribarne s'interroge : Pourquoi y-a-t- il un problème avec les Français quand on parle de concurrence ? On a voulu développer une sorte de modernité dans les entreprises en France qu'il juge plus déstabilisante qu'il n'y paraît et la France est moderne à sa manière selon lui. Deux discours très imaginaires font bon marché de la réalité : l'un, très libéral («les Français n'ont qu'à faire comme les autres ! »), l'autre très radical, de défense du modèle social français, qui entend le maintenir "bec et ongles" sans réforme. Dans ces conditions, qu'est-ce qu'un travailleur digne ? pour les uns et les autres. Enfin, comment pèse l'héritage de la grandeur de la France dans l'adaptation des Français à la mondialisation ?

« Une voie française dans la mondialisation »

Résumé de Philippe Iribarne

Les difficultés françaises dans la mondialisation font question. Les enquêtes d’opinion sont peu favorables à celle-ci. Il est usuel de comparer défavorablement la situation de la France dans la mondialisation à celle d’autres pays, telle l’Allemagne, et de critiquer les comportements des Français, vus comme source des différences que l’on observe entre les économies : rapports sociaux peu coopératifs, mauvaise coopération entre industrie et recherche, société de méfiance, manque de flexibilité ; manque d’acceptation du risque ; etc. On voudrait que les Français adoptent les bonnes pratiques que l’on observe ailleurs, mais cela reste largement un vœu pieux. On a un grand déficit de réflexion sur ce qui fait, qu’ils agissent comme ils le font, sur le rôle que jouent en la matière, d’un côté des facteurs structurels, contre lesquels il serait vain de chercher à lutter, et de l’autre une manière peu satisfaisante d’utiliser la marge d’action dont on dispose. Dans quelles conditions précises les Français, tels qu’ils sont, peuvent-ils agir autrement qu’ils ne le font aujourd’hui ?


1) Un univers mental dont les grandes orientations résistent à l’évolution du monde

La France partage de grandes valeurs avec le monde démocratique, l’attachement à la liberté, à l’égalité, mais elle a une manière particulière de les incarner (ce qui est vrai aussi pour les États-Unis, l’Allemagne et les autres pays).

Dans la manière de devenir moderne, chaque pays a repris beaucoup de ses traditions. On le voit dans les conceptions de la liberté et de l’égalité qui ont prévalu dans chacun d’eux. Et cela a marqué en particulier la façon propre à chacun d’eux de faire le raccord entre la figure du citoyen égal à tout autre et la condition de travailleur salarié soumis à l’autorité d’un patron.

La France a conservé une grand sensibilité à la grandeur, au rang attaché à chaque position sociale, avec ses privilèges et ses devoirs.
Elle est marquée par une contradiction particulièrement forte entre un corps social très hiérarchique et un corps politique qui promet l’égalité mais est bien incapable de l’obtenir.

Avec des moments de compromis : l’élitisme républicain, le rôle structurant du métier, l’invention de la catégorie des cadres.
Et des moments de déstabilisation de ces compromis, avec une mise en cause de son aspect hiérarchique (l’école aujourd’hui) ou de son aspect égalitaire (l’entreprise, au nom d’une logique libérale ; cf. l’exemple emblématique de France Télécom).
La mondialisation libérale est porteuse d’une telle déstabilisation, d’où un fort rejet chez beaucoup et la popularité de ceux qui prétendent en protéger (Montebourg, Mélanchon).

2) Une voie de réussite

Un même univers mental peut conduire, selon les circonstances, à des comportements très différents.

Pour la France, le désir de grandeur et le refus de déchoir qui l’accompagnent peuvent conduire dans des proportions très diverses à une manière d’être créative et conquérante au service d’une grande œuvre (un honneur conquérant) ou à une manière d’être défensive, attachée aux avantages acquis et au statut (un honneur défensif).
Dans l’histoire, selon les périodes, c’est l’une ou l’autre attitude qui a prévalu.

Ce qu’il advient dépend beaucoup de la capacité de ceux qui dirigent à éviter de susciter des réactions d’honneur défensif et à mobiliser l’honneur conquérant.

L’arrogance des élites, comme celle des petits chefs, suscitent des réactions d’honneur défensif.

Les grandes œuvres mobilisent l’honneur conquérant, avec les atouts qui lui sont associés : une grande capacité de combinaison d’autonomie et d’allégeance à quelque chose de grand, précieuse dans un monde turbulent ; une capacité à se dévouer au bien public qui a longtemps marqué les services publics français, avant qu’elle ne soit déstabilisée par l’emprise d’une logique libérale.

Ces atouts n’ont pas disparu, même si les orientations actuelles des politiques européennes comme des pratiques de management ne sont pas favorables à leur expression. Ils pourraient à nouveau jouer tout leur rôle si des conditions favorables sont mises en place.

Biographie

Philippe d’Iribarne, né en 1937. Polytechnicien et Ingénieur général des Mines. Directeur de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique). Ses recherches sont consacrées à la diversité des cultures politiques et à l’effet de ces cultures sur la vie des entreprises et le management. Auteur de treize ouvrages dont La logique de l’honneur, 1989 (traduit en allemand, en chinois, en espagnol et en néerlandais; en cours de traduction en arabe), Cultures et Mondialisation, 1998, Le Tiers-monde qui réussit, 2003 (traduit en anglais et en vietnamien), Penser la diversité du monde, 2008 (traduit en arabe), L’épreuve des différences, 2009 (traduit en anglais et en chinois), Les immigrés de la République, 2010, L’envers du moderne, 2012. Membre du Conseil scientifique de l’Agence française de Développement et du Comité éditorial international du International Journal of Cross Cultural Management. Il a occupé diverses fonctions au service de l’État, notamment au Secrétariat général de la Présidence de la République. Docteur honoris causa de l’Université de Mons.

Philippe Iribarne, 21 janvier 2013, Académie des sciencesmorales et politiques
© Canal Académie


Pour en savoir plus

- Texte intégral de la communication de Philippe Iribarne sur le site de l'Académie des sciences morales et politiques.

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