L’impressionisme et la mode au musée d’Orsay

Jacques-Louis Binet, correspondant de l’Académie des beaux-arts, présente cette exposition où l’art et la mode s’entrecroisent
Avec Jacques-Louis Binet
Correspondant

Revisiter l’impressionnisme à l’aune de la mode, telle est l’ambition de l’exposition que vient de proposer le musée d’Orsay. Jacques-Louis Binet, correspondant à l’Académie des beaux-arts, nous présente les pièces qui l’ont particulièrement touché : l’occasion de l’entendre évoquer l’art de peindre des impressionnistes.

« Je crois beaucoup à l’impureté. Je ne crois pas à l’art pur, je ne crois pas à la peinture pure, je ne crois pas à la peinture, qui ne s’explique qu’en elle-même, je crois qu’il faut toujours faire appel aux sciences annexes (…), à la connaissances des autres métiers, aux autres savoirs pour enrichir l’histoire de l’art .» Ainsi Guy Cogeval introduit-il l’exposition, L’impressionnisme et la mode au musée d’Orsay, sous la direction de Gloria Crom, présentée jusqu’au 20 janvier 2013, pour être montrée ensuite au Metropolitan Museum of Art de New-York et à l'Institute of Art de Chicago.

Ainsi art et mode sont exposés parallèlement, à la seconde moitié du XIXe siècle, à Paris, sous le sigle de la presse, de la sortie en ville, des tenues d’intérieur, des habits de soirée, du plein air et de la mode masculine. Mais à cette présentation, je vous propose un autre parcours, celui des peintres qui ont représenté ce phénomène social : comment, devant ce même sujet, se distinguent-ils, les uns des autres ? Comment l’ont-ils assimilé à leur peinture ? Volontairement, j’oublie le phénomène social, pour ne m’attacher qu’aux tableaux. Je quitte l’exposition universelle pour revenir au musée de l’impressionnisme.

De ce vagabondage, deux conclusions, la totale supériorité de Manet, Renoir, Monet, Degas mais aussi l’excès d’artistes, de la même époque, dont les tableaux relèvent plus du quotidien de cette période que de l’histoire de la peinture.

Nana (1877) de Manet

Édouard Manet (1832-1883) précise au sujet de son tableau Nana, (1877, Hambourg, Hamburger, Kunsthalle), que « le corset de satin, c’est peut-être le nu de notre époque ». Pour mieux replacer ce tableau dans l’œuvre de Manet, Valérie Steele, sur le catalogue, décrit la scène : corset de satin bleu ciel, jupon fin blanc, bas de soie bleus, escarpins à talon haut portés par l’actrice Henriette Hauser, dans sa loge où un admirateur, sans doute un amant, est venu la rejoindre.

Considérée comme une offense à la morale publique, Nana est refusée au Salon de 1877 et comparée à l’Olympia, dont il devient le pendant : comme l’Olympia, exposée en 1865, qui n’était pas tout à fait nue, puisqu’elle portait boucles d’oreille, bracelet, médaillon accroché à un ruban noué autour du cou et une mule au pied. Nana n’était ni tout à fait vêtue, ni complètement dévêtue. Son corset emprisonne ses formes épanouies, telle la cuirasse esthétique du nu masculin, tandis que le satin reproduit la couleur de sa peau. Mais pourquoi, avant cette interprétation trouve-t-on deux paragraphes incomplets sur la nudité dans la peinture et deux pages sur l’histoire du corset et les ouvrières de la corseterie vers 1855 ? On a quitté l’histoire de la peinture, pour l’Exposition universelle.

Heureusement, Pierre Schneider, dès 2001, dans sa Petite histoire de l’infini en peinture, nous avait montré l’importance du tableau : « La jeune femme (Nana) qui se poudre, montrée de profil, est jusqu'aux épaules, prisonnière du monde bas, en compagnie du client qui la dévore des yeux et parmi cent notations qui la localisent et la datent avec la précision d’un roman de Zola ou d’Huysmans. Mais la nuque s’élance vers un autre monde, simple, bleu, profond, dont une barre horizontale (rebord de cheminée ou cadre de miroir) indique la frontière et sur lequel se détache sa tête tournée vers nous. Notre regard, se déplaçant de bas en haut le long du corps de Nana, passe de l’arrière- plan au fond, du Paris de Jules Grévy à l’intemporel.(…) Nana, fille doublement perdue : victime des hommes dans la partie inférieure de la toile, victime du fond insondable dans la partie supérieure. Sa tête rousse se découpe sur un papier mural bleu clair, pas tout à fait omniprésent, puisque, sur sa droite, il renonce à absorber un coin du sable où se balance un échassier. »
Nana nous a autant appris sur Manet sur le corset ou plutôt Manet a aussi profité d’un corset pour faire apparaître dans sa peinture un fond qui n’est plus celui de la perspective, mais d’une profondeur « étrangère à l’impressionnisme », Une profondeur abyssale, la profondeur de l’infini. Cette même exposition nous la remontre dans les noirs du Balcon et dans deux autres fonds celui de La Femme au perroquet de 1866 et La Parisienne de 1875. Regardez bien ; elles ne reposent ni sur le sol ni devant un mur, mais, comme Le fifre, leur robe est entourée d’un autre environnement, celui de l’infini.

Aussi admirable, Pierre-Auguste Renoir (1841-1919). Un peintre qui aime tout ce qu’il peint. Sa chaleur anime, colore, fait danser ce qu’il touche. Sa joie de vivre se prête mal à l’analyse. Sous prétexte de représenter une voilette, il couvre d’un énorme plaid les épaules d’une femme, dont nous ne devinons que le profil. Madame Charpentier, ses enfants et son chien sont revenus du Metropolitan pour nous montrer ce qu’avait été un Salon en 1878 et surtout la place que pouvait y occuper une femme jolie « encore plus intelligente qu’elle le paraissait et tout aussi bonne qu’elle en avait l’air ».
Comme elle avait transformé son hôtel de la rue de Grenelle, elle avait apporté son goût et son élégance à la loge qu’elle occupait à l’Opéra. Avec La Balançoire (1876), les figures, la femme et sa robe, la petite fille et les deux hommes ne sont que les reflets de la lumière à travers le feuillage. Verrons- nous un jour une exposition Renoir à Paris ?

Edgard Degas (1834-1917) ne semble pas séduit, contrairement à ce que disent ses biographes, par la mode et le beau visage de Madame Jeantaud qui résiste mal, dans un miroir, à la sévère critique intelligente du peintre. Par contre il traduit parfaitement l’évolution des silhouettes. Il saisit parfaitement des mouvements de la modiste au milieu de ses chapeaux, l’attitude de ceux qui attendent les danseuses dans les coulisses de l’Opéra ou les mouvements de têtes des habitués de la Bourse.

Mais le grand triomphateur de cette exposition m’a semblé Claude Monet (1840-1926), celui des années 1865-1866, qui, après avoir essayé de faire porter à Camille une somptueuse robe verte, crée l’impressionnisme, le Monet des Promeneurs et du Déjeuner sur l’herbe. Bien sûr on retrouve des robes, des crinolines de claires tonalités, mais presque immatérielles : elles sont devenues des écrans, des supports, des reflets de couleurs, qu’elles captent, réfléchissent, renvoient, sans s’arrêter sur ce qu’elles transforment. Un grand moment dans l’histoire de la couleur.

Déjeuner sur l’herbe de Monet (1865-1866)


Alors, dans ce triomphe chromatique, Eva Gonzales, Caillebotte (il l’écrit lui-même), même Mary Cassat semblent un peu déplacés. Et surtout, pourquoi Carolus-Duran après Monet ? Pourquoi huit toiles de James Tissot, qui, malgré tous les efforts des conservateurs du musée d’Orsay, ne devraient pas être présentées.

Aujourd’hui, la mode a quitté la peinture pour appartenir à la photographie et c’est elle qui, désormais, sur une des multiples revues, qui lui sont consacrées, nous apprend autant sur le modèle, que le couturier ou, et, le photographe.

Jacques-Louis Binet

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