Le retour d’ « habilité »

La chronique « Faut-il le dire ? » de Pierre Bénard
Avec Pierre BENARD
journaliste

Est-ce un nouvel effet du règne de l’anglais ? Le mot français « habileté » cède souvent la place, à l’oral comme à l’écrit, à un surprenant « habilité » qui était depuis longtemps sorti de l’usage. Comme si l’anglais « ability » favorisait le retour de notre vieux mot « habilité ».

Émission proposée par : Pierre BENARD
Référence : mots674
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Plusieurs fois, ayant cru l’entendre, j’ai mis la chose sur le compte de ma mauvaise audition. Ce n’était pas possible. On ne venait pas de lancer sur les ondes que tel homme politique était d’une grande « habilité », que telle mesure qu’on venait de prendre reflétait une certaine « habilité ». C’est mon ouïe qui était en cause. J’avais sans doute mal entendu.

Mais il est advenu ceci : je l’ai lu. J’ai lu des choses telles que celles-ci, avec le mot « habilité » là où l’on eût attendu « habileté ». Fallait-il, à présent, accuser un trouble de la vue ? Avais-je la berlue ou … l’avais-je bien lu ?

Je ne connaissais « habilité » que comme le participe passé du verbe « habiliter », qui, dans la langue juridique, signifie « rendre capable », « rendre habile » au vieux sens d’ « habile » qui a trait à une aptitude, à des conditions remplies pour une autorisation : « Vous n’êtes pas habilité à témoigner devant cette cour ».
A la rigueur, on peut aussi dénicher un substantif « habilité », mais qui, en relation avec le vieux sens d’ « habile » que je viens de signaler, survit dans la langue du droit, au sens de « capacité légale ». Survit ou survivait ? Parle-t-on encore couramment de « l’habilité à succéder » ?

Ce qui est sûr, c’est que, dans tous les autres emplois, le nom commun « habilité » est complètement sorti de l’usage, que c’est un archaïsme, qu’on le prenne dans le sens d’ « adresse » ou de « procédé habile ». Je ne parle pas de la simple « aptitude », qui n’est pas plus, de nos jours, dans « habileté » que dans « habilité », exception faite peut-être de la valeur juridique du nom « habilité » dont je viens de parler.

Ceux qui nous servent de l’ « habilité politique », de l’ « habilité dans les rapports humains », de l’ « habilité du gouvernement » ressuscitent (je m’aide de Littré) le parler de Nicole Oresme, évêque de Lisieux, théologien et traducteur d’Aristote, mort en 1382, du sire de Commynes, le chroniqueur fameux qui mourut à l’aube du XVIe siècle, ou encore de Jacques Amyot et d’Ambroise Paré, qui appartiennent au même siècle.

On nous ramène à l’ancien français.
Ceux qui le font, en vérité, je doute qu’ils soient contaminés par leurs lectures de Commynes, d’Amyot ou de Paré.
Je les croirais plutôt éblouis (encore la berlue !) par trop de lectures en anglais, par trop d’ « ability ». Vous me direz que cet anglais moderne, c’est aussi du français d’autrefois.

Pierre Bénard.

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